Attentats V13. Les vérités du Juge Trévidic. Il avait prévenu. Sans être entendu…
Publié le 08/09/2021 à 10h04 | Abaaoud, Alerte prémonitoire ignorée, Cri d'alarme, Daesh, EI, ITW, judiciaires, Juge Trévidic, Manquements des institutions policières, Paris-Match, Polémique, politiques, Procès V13, terrorisme, Une vague d'attentats annoncée | Écrire un commentaire
Le 25 septembre 2013, à moins de deux mois des attentats du vendredi 13. le juge Trévidic m’accorde une interview, pour « Paris-Match », qui sonne comme un cri d’alarme glaçant.
« La France est l’ennemi n°1 de l’état islamique. La menace qui nous vise est à un niveau maximal, jamais atteint. J’ai acquis la conviction que les islamistes de l’EI ont acquis l’ambition et les moyens de nous atteindre très durement. En organisant des actions d’une ampleur incomparable à celles menées jusqu’ici « .
Ce cri d’alarme, si prémonitoire, décrit très exactement le processus en cours alors, de préparation des attentats du vendredi 13 novembre. Les mots du magistrat sont pesés, clairs, précis. L’avertissement est glaçant.
Il émane d’un homme qui sait de quoi il parle. le juge Trévidic, que je connais depuis son arrivée à l’anti-terrorisme est devenu le meilleur en cette matière. Il nourrit une passion pour les phénomènes liés à l’islamisme radical. Mais travaillant aussi sur d’autres dossiers mettant à mal la raison d’état, la figure emblématique de l’anti-terrorisme gène le pouvoir, agace certains de ses confrères. Il a été la cible d’attaques sournoises, qui ont fini par l’écœurer. Et pour que les choses soient bien claires, le Juge turbulent est puni comme un gosse. Il se trouve sur le départ lorsqu’il me parle. Le « top- gun » de l’anti-terrorisme est prié d’aller exercer son métier comme JAF, juge aux affaires familiales, à Lille ! Un gâchis terrible, une aberration doublée d’une humiliation. C’est un homme à la fois fataliste et remonté que je retrouve. Mais qui n’a rien perdu de sa lucidité et de son franc-parler.
Trévidic insiste au cours de l’ITW. La France est la cible principale d’une armée aux moyens sans limites. ». Et le magistrat le mieux informé de l’hexagone, devient très explicite. « Je n’ai héla aucun doute quant à l’imminence d’une frappe d’une violence sans précédent. C’est inéluctable »
Le juge reste alors discret dans sur les raisons qui l’ont amené à faire ce sombre pronostic. En « off », il évoquera la multiplication de révélations des membres de l’EI, arrêtés lors d’enquêtes diverses. « Ceux qui parlent évoquent tous l’intention de l’Etat Islamique de frapper le plus durement possible notre pays ». Dans le cabinet du juge, arrêté en juin, Reda Hame confesse avoir été entrainé en Syrie par Abdehamid Abaaoud (Chef opérationnel du commando « vendredi 13 »), pour mener un attentat en Europe. L’idée dit le jihadiste est de frapper à la Kalashnikov, « une salle de concert », et de faire un maximum de victimes possibles. Un autre jihadiste arrêté se met aussi à table et raconte qu’à Raqqa, en Syrie, il a été témoin de scènes ou Abaaoud évoque sans détours des plans de frappe en France, et de recrutement de francophones à cette fin.
« Le terrorisme est une surenchère. Précise le magistrat (…) L’état Islamique veut son « 11 septembre » en France ». Et le juge conclut ses propos terriblement prémonitoires, par une formule sèche : « Le pire est devant nous ».
Ce que le juge savait, les services spéciaux le savaient, les enquêteurs de la DGSI le savaient, les informations étaient sues au plus haut niveau politique. Mais dans la même interview, Marc Trévidic explique que bien que la menace soit connue, L’appareil de lutte anti-terroriste est exsangue. Manque d’hommes, manques de moyens, manque de collaboration, perte singulière d’efficacité d’un système autrefois vanté pour être un des meilleurs du monde.
« Ce système est devenu perméable. Nous ne sommes plus en mesure de prévenir les attentats comme avant. Il y a quelque chose d’inéluctable. Nos moyens sont devenus très clairement insuffisants. On frise l’indigence à l’heure ou la menace n’a jamais été aussi forte. Les politiques prennent des postures martiales mais n’ont pas de vision à long terme. Nous risquons d’aller dans le mur ».
Même si Abaaoud est décrété alors cible prioritaire « à neutraliser » il ne sera jamais inquiété. Les services le croient toujours en Syrie alors qu’il est déjà en Europe. Pour monter l’opération de Paris, l’EI lancera toute une série d’actions, parfois déjouées de justesse, comme l’attaque déjouée du Thalys. « Elles vont monopoliser les services français, débordés par la multiplication de ces actions qui servent d’écran de fumée alors que se prépare une opération de très grande envergure » dit le Juge Trévidic. Qui dénonce aussi alors « la facilité opérationnelle de renvoyer de Syrie en France des volontaires aguerris, des européens, qui peuvent revenir légalement dans l’espace Schengen et s’y fondre avant de passer à l’action »
Mais l’institution judiciaire, comme le Pouvoir, n’ont jamais gouté la propension du juge à mettre les ‘pieds dans le plat ». à refuser la langue de bois, et à porter le fer dans la plaie. Son dernier cri d’alarme, paru dans Paris-Match, fera un « buzz médiatique ». C’est tout. Aucune mesure particulière ne sera prise. Le juge lui, est déjà sur le départ. Il n’aura plus aucun moyen d’agir.
Il est aujourd’hui président de Cour d’Assises au Tribunal de grande Instance de Versailles. Régulièrement, le souvenir de cette période prémonitoire, précédant les attentats du « vendredi 13 » est revenue depuis. Avec cette lancinante question ? Aurait-on pu éviter cette vague d’attentats sanglantes si le magistrat avait été écouté ? S’il n’avait été écarté ? La question demeure posée. Et plus encore à l’ouverture du procès.
Celle de la responsabilité de l’état et de ses services, incapables alors d’enrayer une vaste « mécanique de mort » ayant mis des mois à se mettre en place et qui se déchainera le 13 septembre 2013, et qui mettront sous le tapis les déclarations et informations alarmantes, rendues publiques par un juge qui n’est plus en fonction à l’anti-terrorisme – malgré-lui – viendra-t-elle s’inviter dans les débats ?
Certaines victimes le souhaitent. Et entendent bien le faire savoir de vive voix à la barre. Car une chose est sure :
Marc Trévidic aura dit clairement, précisément et publiquement en septembre 2013 sa certitude que la France allait immanquablement subir une attaque terroriste d’une ampleur inédite. Et qu’il fallait mobiliser des moyens sans tarder, pour éviter le pire. La suite a tragiquement prouvé qu’il avait raison, mais hélas prêché dans le désert.
Frédéric HELBERT