Covid 19 : Le cri d’alarme d’une infirmière: « On manque de tout, on sait pas ou on va »
Publié le 24/03/2020 à 06h59 | bricolage, cliniques, Covid 19, Cri d'alarme, désastre sanitaire, Emmanuel Macron, gouvernement, Hôpitaux, infirmières, manque de moyens, médecins, pénurie tests, politique à vue, soignants, témoignage | Écrire un commentaire
Nous l’appellerons « Camille ». Elle est infirmière en région parisienne. Elle exerce dans le secteur privé. Elle travaille dans des conditions ubuesques. Malgré les consignes, elle a décidé de briser les consignes internes, et de parler, sans aucune auto-censure, sans « prendre de gants », sans détours, pour alerter la population, sur les risques courus par tous, malades comme soignants, sur le déficit de matériels de première nécessité, où de respirateurs, sur la situation dantesque dans certains établissements, sur l’absence de politique coordonnée et cohérente à plus haut-niveau. Elle évoque son quotidien, et l’absence de visibilité à terme, les coups de blues, la fatigue, le décalage entre les annonces publiques et la réalité de terrain. Elle fustige des politiques « hors-sol ». Son témoignage est édifiant. « Mais c’est mon devoir d’alerter » dit cette femme, mère de famille, qui livre un récit d’une véracité parfois terrifiante.
– Le pic, de ce qu’on nous dit en interne, est prévu en l’état pas avant mi où fin avril. Ça veut dire que l’on doit se préparer tant que faire se peut cette semaine, la semaine prochaine, et au delà à un afflux massif de cas. Et de cas désespérés, et de décès. On ne peut pas se voiler la face. Ça nous mine, çà nous ronge. Parce qu’on sera forcément débordé. Et qu’on aura à affronter des moments affreux. En fait, ça dégénère encore et toujours. On est déjà dans le rouge. Et c’est impossible d’entrevoir un début d’amélioration. Encore moins lorsqu’on regarde les annonces gouvernementales, qu’on on écoute le Président, le 1er ministre, celui de la Santé et d’autres, grands patrons, grands pontes, qui maintenant se chamaillent par médias interposés. On est toujours déçu, parfois on bondit, on a l’impression qu’ils ne nous écoutent ou ne nous entendent pas. Les politiques ils sont à coté de la plaque, hors-sol, dépassés par la réalité de terrain. Celle que doivent affronter des soignants de première ligne comme moi.
« On fait déjà des choix entre malades, du fait du manque de moyens. Les tests? Y’en a plus! ».
– Moi quand je vais à la clinique tous les jours, j’ai la boule au ventre, mais c’est mon devoir. On passe notre temps à transférer, réorganiser, bâtir, rebâtir. Dans tout notre département, le public comme le privé, sont encore en phase d’organisation pour augmenter le nombre de lits disponibles. Mais qu’est ce que cela veut dire pratiquement ? Ça veut dire qu’ici ou là, déjà, il y’a des choix à faire, aujourd’hui on en est là! Vous vous rendez compte ? Aujourd’hui, chez nous, entre une femme en cancer stade 3, et un patient bien moins atteint, on choisit le patient bien moins atteint. Entre un vieillard de 90 ans et un de 70 qui respirent mal, on choisit le plus jeune. C’est comme cela tous les jours, tous les jours il y a quelque chose de nouveau ! Les infos changent, les consignes changent, on ne sait pas ce qui nous arrive. On ne sait pas où on va Jamais par exemple on aurait pensé que les enfants seraient touchés. Maintenant on se prépare à les accueillir aussi… Chez nous, je le répète, c’est sidérant, mais, si nous avons reçu des lots d’équipements de protection, masques et gants, qu’on nous demande d’économiser, il y a pénurie totale de tests ! C’est dingue, mais c’est ainsi. Donc, dans cette situation, on ne connait pas les vrais chiffres de la contamination. On ne les connaît pas ! La seule chose dont est sur, c’est le chiffre des morts. Et comme on a plus de tests, lors d’une réunion, ou on nous a donné des questionnaires ! On ne détecte, on ne diagnostique plus avec les tests, mais avec un questionnaire! Qui est censé nous permettre de qualifier la gravité des cas.
Entre soignants et patients contaminés qui contaminent d’autres personnes…
Quand tu vois çà, tu trembles. Et quand tu sais que de plus en plus de soignants, sont contaminés, c’est terrible ! Mais comment faire ? Quand on ne sait même pas qui est contaminé vraiment ou pas ? Quand certains ne présentent pas de symptômes ? Pour les contaminés, comme pour les soignants, les données ont complètement changés, elles changent en fait tout le temps, depuis l’apparition du virus ! Elle est loin l’idée, selon laquelle, seules les populations très âgées sont les seules les plus exposées au danger. Chez nous, 50% des contaminés ont désormais moins de 60 ans, et sur ces 50%, les trois-quarts ont moins de 40 ans. Il y a des jeunes qui sont hospitalisés. Des enfants sont passés par un hôpital voisin. Trois gosses de 4, de 6 et 12 ans, qui ont eu des problèmes respiratoires sérieux. On les a gardé une journée, on les a mis sous assistance et surveillance, on leur a donné de l’oxygène, o les a traité sans avoir à les placer en « réa », dieu merci, et puis ils sont repartis chez eux… Mais renvoyer ou laisser les gens chez eux, sous prétexte qu’ils sont atteints légèrement, et que nos capacités sont saturées, c’est clairement les mettre en position de contaminer leurs plus proches. En bonne logique, l’état de ceux qui sont astreints à rester chez eux, peut se dégrader, de la même manière, qui peut imaginer qu’au sein d’une famille, parfois dans des petits espaces de vie, des mesures de « distanciation sociale » soient observées ? C’est un casse-tête, et chaque fois qu’on renvoie chez eux des patients touchés, on culpabilise. On a l’impression qu’on va entretenir un autre canal de contamination intime. C’est terrible.
Et puis on est dans le noir. On a maintenant nombre de cas et des plus de gens jeunes, qui sont atteints, parfois sévèrement, sans avoir aucune pathologie associée. Donc on ne sait pas ce qui va se passer dans une semaine, une semaine c’est si loin. On vit heure par heure, parfois minute par minute, Le « truc » (le virus) va encre bouger, muter, donc on ne sait pas… Certains craquent physiquement, psychologiquement. On se tient les coudes, on est porté par l’idée qu’on est le dernier rempart. Même si les trous dans notre raquette sont parfois béants», bien malgré nous.
Les fuyards irresponsables…
– Quand aux « abrutis » irresponsables qui ont fui, qui sont partis de la région parisienne vers la campagne, la province, ils n’ont rien compris, ce sont vraiment des gros abrutis, pour ne pas dire des criminels en puissance ! Ils ont rien compris à la vie aux enjeux de la période. Ils sont partis comme en vacances ! Ils se sont du coup éloignés des milieux hospitaliers. Et certains, qui plus est, ont emmené le virus avec eux. Là-bas, c’est la saturation maximale au regard des moyens…. Imaginez des vieux, se sentant soudainement mal, voire très mal, qui vont appeler le SAMU, mais ils vont finir morts étouffés, chez eux, avant l’arrivée des secours, voilà ce qui va se passer! Vous imaginez un vieux qui appelle pendant deux heures un numéro sans cesse occupé? Avant que ça décroche, il est mort ! ».
La solitude et le blues des soignants
« Moi, je sais où est mon devoir, mais oui, je suis en danger, je le sais. Aussi, Mes propres enfants sont en danger du fait de ma situation. Je peux les confier à personne. Je ne peux voir personne! Il est hors de question que mes amis m’approchent. Quand à mes gosses, ils sont traités comme des pestiférés par les personnels d’astreintes dans leur école où ils sont seuls, face à une directrice hystérique au comportement scandaleux, qui rase les murs… C’est une honte ! Tout cela c’est une horreur. Et c ‘est, même si je n’ai pas envie de rentrer dans cette polémique, l’incurie de l’état, l’impréparation du gouvernement, et de son fameux comité de consultation scientifique, la politique du doigt levé, est à l’origine de cette situation. Parce qu’on a pas attendu la crise du Coronavirus pour crier, et manifester contre le manque drastique de moyens, et la gestion calamiteuse du secteur de santé. En guise de réponse, on nous a envoyé des CRS, et maintenant on nous fait de la calino-thérapie. C’est pas comme cela qu’on va résoudre les problèmes. Ces gens-là devront un jour rendre des comptes. Ils prennent des décisions dans leurs grands bureaux, mais qu’ils viennent ici, voir la réalité du terrain, avec la chaine des soignants et les malades ! On les attend. Leur gestion actuelle ne correspond pas aux recommandations de l’OMS, contrairement à ce qui est dit. Notamment en matière de tests massifs que l’OMS a demandé de faire massivement en amont. (Enquête à suivre).
« On bricole comme on peut »
– Quand on voit tout çà, on se dit que l’on ne va pas tenir le coup, y’a une angoisse, on a pas de soutien, pas de soutien massif, ni technique, financier, ni psychologique, comme l’on devrait en recevoir. Et çà cela nous touche durement. Des personnels qui pleurent, on en voit beaucoup. Il ne faut pas oublier que nombre d’entre nous ont bossé – je l’ai vu – pendant des jours et des jours sans masques, sans gants, ou avec des équipements de protection de fortune à l’étanchéité plus que douteuse. Même-moi, je l’ai fait. C’est terrible, non ? On voit bien qu’à notre échelon, comme à l’échelon national, on bricole comme on peut, Pensez que je connais une infirmière vacataire qui a été réquisitionnée en urgence, pour être formée en 24 heures à travailler en réanimation! C’est fou! La « réa », c’est du lourd. Il faut savoir manipuler, mettre en marche des matériaux de pointe, et ca demande un vrai savoir-faire. Normalement, il faut un mois pour avoir une formation complète, en travaillant en binôme avec un(e) soignant(e) déjà expérimenté. Là de un mois, on est passé à un jour, et je sais que cette infirmière, après avoir reçu sa « formation » ultra-express » est déjà en première ligne, sur le front auprès de patients lourdement atteints…
Un avenir si incertain, si inquiétant
Aucun médecin, aucun soignant ne sait jusqu’où tout çà ca va aller. Quand et comment on va s’en sortir. On n’a a pas assez de matériel pour se protéger, pour sauver les gens, on a pas de matériel pour tester, il manque du personnel face à l’afflux de malades. Il est là le danger, on manque toujours de matériel, tant élémentaire que de pointe. Et c’est que le début… Ca va chaque jour plus loin. Personne n’en voit le bout. Quand on voit ou on est, et qu’on te dit que le pic est prévu dans 3 semaines, où un mois, on se demande: mais on en sera où? Entrain de voir mourir nos patients, nos proches, nos collègues, nos anciens, sans pouvoir les aider ? Moi je ne sais pas, et je ne suis pas la seule plongée dans une incertitude si grande et si grave, croyez-moi. Et je me demande dans quel pays vit-on pour devoir assister à une telle hécatombe partout? C’est consternant et terrifiant. Mais bon, on continue, et il faut que tout le monde le sache: Quel que soit le prix à payer pour nous, quelque soit le difficultés immenses auxquelles on se heurte, quelles que soient les promesses des politiques non tenues, on ne lâchera rien ».
Propos recueillis par Frédéric Helbert.