Ouragan IRMA »Le pire aurait pu être évité ». ITW vérité d’un humanitaire.
Publié le 13/09/2017 à 04h40 | gestion de crise, Humanitaire, IRMA, ITW, Macron, Ouragan, Politique, Saint-Martin, Sécuritaire | Écrire un commentaire
A l’heure où le président Macron s’en est allé visiter Saint-Martin (avant Saint-Barthelemy) , et s’efforce de faire face aux critiques, d’éteindre les polémiques, promettant « une renaissance de l’ile », un responsable humanitaire, basé en métropole, originaire des Antilles, et pleinement mobilisé pour coordonner « l’effort de guerre » se livre. Le propos est parfois cinglant. Politiquement peu correctTous les aspects sont évoqués dans une interview riche en informations, donnée sous couvert d’anonymat. Pour des raisons évidentes au regard de la sensibilité du sujet. Et de la sincérité du propos abordant tous les thèmes sans concession, ni tabou.
Vous êtes un humanitaire expérimenté, vous connaissez le terrain, vous travaillez jour et nuit, en liaison avec les uns et les autres, qu’en est-il de la situation actuellement selon vous?
Elle demeure très instable, rien n’est réglé. Ca va mieux au plan sécuritaire, il était temps! Mais la « guerre » contre une insécurité encore présente doit se poursuivre sans répit. Il faut absolument insister sur ce point essentiel, sinon rien ne sera possible au plan humanitaire. Cela passe par un déploiement de forces partout, il faut le savoir et il faut le faire savoir. Il y a encore des gens terrorisés. traumatisés. Et d’autres qui ne font confiance à personne et n’ont pas démantelé leurs milices de « vigilance citoyenne ». Les rumeurs de dingues qui ont couru ont la vie dure… Il y a des situations encore disparates. Donc, même si ça ne relève pas de ma partie, je le dis comme je le pense: Les pillards, on ne peut pas les laisser tranquilles après ce qu’ils ont fait. il faudrait aller les « chercher » dans leur bannières, et les punir sévèrement pour envoyer un signal fort! Et ça c’est du boulot parce qu’il n’y a ni tribunal, ni maison d’arrêt coté français. Et que cela demande des moyens énormes.
Vous estimez donc qu’il y a eu défaillance des autorités en matière sécuritaire?
Et comment. Absence de mobilisation, de communication, de prévoyance. Comme si l’on ignorait qu’à Saint-martin, la criminalité est très forte. Coté néerlandais, il y eu des pillages aussi, mais rien de comparable, parce que les commandos de marine, qui croisaient au large, et devaient faire du déblaiement, du génie, encadres des évacuations sanitaires après l’ouragan, ont laissé les haches et les pelles de coté, ont repris d’abord leurs fusils-mitrailleurs pour parer ce qui était devenue la première urgence. Ils ont été déployés très vite. Ils n’étaient une centaine au départ, guère plus, mais ils ont fait le boulot: Etat d’urgence, barrages, couvre-feu, fermeture de la frontière, la réaction hollandaise a été adaptée. Pendant ce temps, les pillages redoublaient coté français. C’était dantesque! Après grands et petits magasins, les bandes ont écumé les hôtels, complexes touristiques, résidences, les villas. Quand Irma s’est calmé, rien ne s’est passé pour éteindre l’incendie. Les gendarmes étaient débordés et épuisés. Mais personne n’est venu à ce moment les épauler ou les relever. Comment est ce possible qu’une nation aussi puissante que la notre n’ait pas trouvé les moyens alors de projeter un minimum de forces? Les autorités se sont retranchés derrière le fait que la menace de l’ouragan José approchait. Résultat, les pillards sont allés jusqu’à envahir les armes à l main des villas, chassant leurs occupants pour se trouver un refuge. C’était insensé. Les rumeurs de quasi guerre civile courant, la panique totale s’est emparée de la population coté français. La faillite a été totale.
Comment expliquez-vous cette différence tant au niveau de l’anticipation que de la réaction?
Les néerlandais ont beaucoup retenu, eux, des ouragans précédents qui les avaient durement touchés. Résultat, même si au départ l’ouragan, n’était qu’estimé au niveau 3, deux navires de guerre croisaient au large. La France qui possède une grosse base-arrière à la Guadeloupe, n’a pas jugé bon de pré-postionner un groupe maritime comme elle l’aurait pu. La on rentre dans une problématique connue dans la région. Le défaut de « culture du risque », de coordination et de communication adaptées. Prévention insuffisante, manque d’anticipation au niveau préfectoral local, et désorganisation… Prenons l’exemple des numéros d’urgence. Ils n’ont cessé de changer au fur et à mesure des communiqués!. Le 1er jour, plusieurs de mes amis m’ont signalé que le numéro qu’ils composaient tombait sur un standard de la préfecture de la Martinique. !incapable de donner une quelconque info! Des adresses mails officielles incorrectes renvoyaient un message d’erreur. Un homme appelant en pleine nuit, s’est vu répondre « non mais vous avez vu l’heure qu’il est? ». La vraiment c’est un zéro pointé pour les autorités, et impardonnable. Qu’un numéro soit saturé c’est une chose, que personne au bout du fil ne soit en capacité de donner des infos en est un autre. Quand au système d’alerte prévention, avec ces couleurs sur des tableaux, il ne « parle pas » aux gens et est insuffisant. Quand j’étais gosse, aux Antilles, la télé, la radio diffusaient en cas de menace cyclonique, après un jingle terrifiant, des consignes précises en images… Aujourd’hui, à l’heure d’une communication globale multiformes, les français se sont plantés. Les néerlandais eux ont pu bénéficier du formidable boulot de leur radio locale (laser 101,1) qui a servi de tour de contrôle pour diffuser et recevoir des alertes et des infos. Des témoignages précieux. Répondre aux angoisses, relayer auprès des autorités. Ils avaient tout prévu. Avec deux antennes de secours, qui ont permis d’assurer une diffusion continue 24/24, quand l’émetteur principal touché par l’ouragan a failli… Or Il n’y avait rien de pareil coté français. Le terrain était donc propice au pire: toutes les rumeurs les plus folles se sont propagées. Il est « cocasse » de lire sur twitter un message répété du ministère de l’intérieur appelant à éviter de retransmettre, faire circuler ces rumeurs et infos non fiables, alors que la gendarmerie a un temps officiellement confirmé l’info bidon selon lesquels 250 détenus s’étaient échappés de la prison coté néerlandais! Comment un truc aussi énorme et totalement faux a pu être confirmé face caméra par la gendarmerie française? C’est dingue! Ca en dit long sur le chaos ambiant qui régnait à tous niveaux. Mais c’est symptomatique d’une réalité qui n’aide pas: Les autorités néerlandaises et françaises jouent chacun « dans leur cour ».
Au plan humanitaire et secours aux personnes, on est-ou maintenant?
La encore, il y’e du progrès, -enfin – près d’une semaine après la catastrophe. L’essentiel des grands axes ont été dégagés. L’hôpital fonctionne. une structure de campagne a été installée sur le stade. D’après mes informations il n’y a plus de pénuries au rayon médicaments. Encore faut-il que la population ait accès en toute sécurité aux stocks acheminés, ce qui n’est pas le cas, d’après des témoignages multiples. On est donc encore loin du compte. Toujours pas d’eau potable. Les stocks arrivent en packs de Guadeloupe. Là encore, l’anticipation a fait défaut. Il faut savoir qu’il n’y a aucune source naturelle sur l’ile. Que l’usine de dessalement touchée, en cours de réfection, est inopérante. Et qu’aucun stock n’avait été fait dans un endroit sur! Pas plus qu’il n’y avait de stocks de kit d’urgence en la matière. Il n’y en a pas! nulle part, pas même en Guadeloupe! C’est ça l’administration des DOM! C’est le « bordel » toléré, voire institutionnalisé… Aujourd’hui la population de Saint-Martin en paye encore le prix lourd. Entendre après que l’on a anticipé au mieux, que l’on ne pouvait pas faire plus, est une hérésie selon moi.
La visite d’Emmanuel Macron, ses propos ont t-ils inversé, bouleversé le cours des choses?
Non. Je le dis sans vouloir m’inscrire dans aucune polémique visant la présidence Macron ou son gouvernement. Je suis un technicien, pas un politique. Ceux qui se vautrent dans des polémiques politiciennes n’auraient pas fait mieux je crois. Maintenant on ne peut pas balayer tous les problèmes ni exonérer les responsabilités du gouvernement aux affaires, en les cachant sous le tapis de la campagne de communication – très contrôlée et cadrée – qui a accompagné la visite du président. Comme le dit l’un de mes cousins sur place, c’est de la poudre de »perlimpinpin » qui a été saupoudré pour l’heure sur l’ile par le président de la République… Les grands effets d’annonce c’est une chose, la réalité souvent une autre. Attendons de voir ce qu’il va advenir. La majorité des habitants ne croira que ce qu’elle verra. Les chantiers sont immenses en matière de santé, d’eau et d’électricité, de sécurité, de communications, d’internet, et d’éducation… Pour l’heure, c’est encore le système D qui prévaut un peu partout. Même s’il faut saluer l’effort des militaires et humanitaires requis, et celui d’associations comme « techniciens sans frontières » où « Urgences Telecom » qui mettent les bouchées doubles. Il me semble par contre que lorsque le président Macron dit -sans rire- qu’il faut désarmer l’ile, et la reconstruire, en respectant des normes en vigueur sur le continent, cela relève de la pure chimère…
Au niveau de la coordination ça va mieux?
Bof! Il y a des difficultés avec toutes les associations qui veulent venir en aide. Elles ne sont pas toutes suffisamment équipées, expérimentées, pour agir efficacement. Il y a aussi des vrais charlatans… Mettre de l’ordre est difficile. On ne peut pas laisser n’importe qui embarquer sur un bateau pour 13 à 15 heures de traversée ,en fonctions des conditions météo. Ce serait un comble qu’il faille secourir des associations en difficulté .. Les arrivées dans un port encore ‘fragile » sont centralisées par l’administration. Mais la coordination n’est pas vraiment là, non. On assiste à une petite guerre entre associations locales et étatiques. Sans compter les interférences politiques. Entre les indépendantistes guadeloupéens qui refont surface et l’extrême -droite qui pousse des cris d’orfraies, C’est tout sauf l’union nationale prônée par Emmanuel Macron. les collectivités locales se chamaillent, et les communications et les relations sont très mauvaises entre la partie néerlandaise et française de l’Ile. Tout cela est très préjudiciable à la gestion de la crise. Les esprits sont loin, très loin d’être apaisés. La confiance n’est pas rétablie. Le ressentiment est encore très fort.
Vous avez du nouveau sur le bilan?
Non, et je me garderais bien d’avancer des chiffres. Il y a encore des zones inondées et des tonnes de gravats à dégager, cela peut réserver de mauvaises surprises. Il y aussi des gens en état de grande faiblesse. Certaines personnes, notamment les plus âgées sont toujours retranchées chez elles. D’autres dorment dehors. Le risque d’épidémies n’est pas écartée non plus. C’est encore bien trop tôt pour avoir une vue globale. Et puis Au delà des victimes pour lesquelles on ne peut plus rien, j’attire l’attention sur le fait qu’il va falloir entamer un immense effort de reconstruction,pas uniquement des infrastructures et du bâti mais aussi des personnes. Mais les rumeurs insensées qui ont couru, faisant état de plusieurs centaines de cadavres rejetés par la mer, et de scènes de guerre civile, doivent être sévèrement battues en brèche. Leur donner du crédit comme cela a pu être fait est totalement contre-productif.
Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui?
J’essaie de garder la tête froide, mais ce n’est pas facile. Il y a eu tant de dégâts, tant de souffrances. Il y a cette colère compréhensible, compte-tenu de tout ce qui aurait u et du être fait en première urgence et ne l’a pas été. Il y a du désespoir à grande échelle. Et puis rien n’est simple dans l’organisation des secours. Il y a des batailles d’égo stériles, parfois indécentes! Tant de gens ont tout perdu. La bataille pour les indemnisations avec les assurances va commencer. Le provisoire risque de durer longtemps. Seule vraie lueur d’espoir dans un tableau sombre. Les dons affluent. le retour des associations qui ont lancé des appels est excellent. L’effort doit se poursuivre, nous en appelons aux bonnes volontés. Pare que en l’état, les besoins sont immenses et que tout reste à faire.