Tous les ressorts de l’alerte anti-terroriste Gare du Nord. La justice est saisie.
Publié le 10/05/2017 à 08h12 | enquête, Etat Islamique, Facebook, fausse alerte, fiches Police, Gare du Nord, IGPN, individus signalés, Jean-Paul Ney, menace attentat, Ministère Intérieur, Paris-Valenciennes, terrorisme, twitter | Écrire un commentaire
Gare du Nord. Fausse alerte, vrais terroristes. Imbroglio. Colère des autorités.
-ENQUETE-
L’affaire prend désormais une tournure politico-judiciaire. Le Parquet de Paris a décidé d’ouvrir une enquête préliminaire pour « violation du secret professionnel et recel de ce délit ». La violation vise ceux qui ont fait fuiter les fiches de signalement de 3 jihadistes recherchés, et soupçonnés rien moins que d’être susceptible d’avoir voulu rejoindre la France avec la possible volonté d’y commettre un attentat. Le recel vise celui qui a été le destinataire des fuites, personnage éminent de la «twitosphère »: Jean-Paul Ney.
A ceci près que ce n’est pas le recel des documents qui de fait a posé problème, mais l’utilisation qui en a été faite, et la manière dont ils ont été livrés, avec les conséquences que l’on sait, à l’état quasi-brut sur twitter, avec juste un titre accrocheur s’il en est. « Terrorisme : Alerte Nationale. Attentat imminent selon les services de police et de contre-terrorisme. 3 hommes recherchés ».
Sauf que la lecture des fiches de signalement évoque une « menace d’attentat ». Sans mentionner l’imminence d’une action. Et que le conditionnel est utilisé dans une même formule pour les 3 hommes : « Cet individu a été signalé ce jour par un service étranger partenaire de la DGSI. Il POURRAIT rejoindre la France pour y perpétrer un attentat pour le compte de l’état islamique ». Les mots ont un sens. « Entre présomption et certitude, entre indice et preuve, il y a une nuance et de taille » explique un procédurier de la DGSI. C’est toute la différence avec un appel à témoins, un avis de recherche public, comme en a été lancé un par exemple pour Salah Abdeslam après la commission des attentats du 13 novembre. Les « diffusions d’individus signalés » doivent permettre de travailler en secret, de vérifier la véracité de l’info, et de mettre en alerte les services de police, pas la population ! Pour éviter de créer un affolement général, dans un contexte déjà ultra-sensible, et ensuite ne pas succomber sous le poids d’appels de citoyens croyant avoir vu, ici, où là, les hommes en question ». Ce qui n’a pas manqué de se produire déjà à plusieurs reprises avant l’alerte de la Gare du Nord mais sans provoquer jusque-là une mobilisation d’urgence.
Une diffusion d’individu signalée n’est jamais prise à la légère, mais c’est un point de départ d’enquête à partir de renseignements plus où moins fiables. Parfois, c’est même un coup d’épée dans l’eau dit un expert qui rappelle : « Juste après la survenance de l’attentat des Champs-Elysées, nous avons reçus une diffusion émise par nos homologues belges concernant un homme s’appelant Yossouf el Osri, qualifié de très dangereux et supposé avoir rejoint la France via un Thalys. A peine imprimée, la diffusion s’était déjà retrouvée entre les mains de Jean-Paul Ney, qui l’avait aussitôt posté sur Twitter… Or le lendemain, tout s’était dégonflé lorsque l’homme s’était présenté… au commissariat d’Anvers, et avait été alors évidement mis hors de cause »
Le contre-terrorisme n’est pas une «science exacte». Et c’est en cela que les diffusions signalées servent soit à prévenir d’un véritable danger, soit à écarter d’une enquête un mauvais renseignement, et ce sans que la population en soit informée. « C’est notre cuisine interne » dit un autre maillon de la chaine sécuritaire française. « Mais si chaque diffusion se retrouve circulant sur les réseaux sociaux, alors ca nous met dans la m… ».
Or dans l’affaire de la gare du Nord, c’est exactement ce qui est arrivé. Pour mémoire, c’est à la fin de son service qu’une guichetière de la SNCF à Valenciennes, en allant sur Facebook, est tombée sur les fiches internes rendues publiques et ayant «tournées». De bonne foi, la femme a aussitôt pensé qu’elle avait vendu des billets Valenciennes-Paris aux 3 hommes recherchés par la Police. Elle a d’abord appelé le 17. Intimement persuadée, elle a déroulé son histoire, et ainsi que le rapporte Soren Seelow dans le Monde, elle s’est montrée formelle, a fourni un témoignage très circonstancié, évoquant notamment la nervosité de l’un des hommes, ayant acheté leurs billets vers 18h, et l’horaire précis du train devant arriver à 23h11 à Paris. L’état-major de la PJ déclenche alors l’alerte et envoie la « cavalerie lourde » gare du Nord. Tous les accès sont bouclés par la BRI. Des tireurs prennent position. Les fusils-mitrailleurs sont de sortie. La BAC et des unités de sécurité publique sont requis aussi. Les démineurs et leurs chiens spécialisés sont de la partie… La gare est évacuée. Un vaste périmètre de sécurité est établi.
Quand le train arrive de Valenciennes, il est minutieusement et prudemment inspecté, wagon par wagon, les passagers confinés sont tous contrôlés, certains expliqueront même avoir du mettre les mains en l’air… Au bout du compte, après 3 heures de vérifications, pas la moindre trace des 3 jihadsites, deux belges et un afghan. Dont personne ne sait d’ailleurs s’ils sont vraiment sur le territoire français.
Seule certitude : S’ils ignoraient être recherchés, désormais ils sont « au parfum » désormais. « Ce qui de fait les rend encore plus dangereux » enrage un responsable du Ministère de l’intérieur. Mais cette fois, l’affaire n’en restera pas là, puisque la Justice a ouvert une enquête sur les conditions qui ont provoqué ce « coup de chaud » gare du Nord. En parallèle, la DGSI et tous les services concernés « mettent la gomme » pour tenter de parer à toute menace éventuelle, d’ou qu’elle vienne. D’autant que l’on se souvient que l’état Islamique a renouvelé récemment à plusieurs reprises ses appels aux attaques par tous moyens contre la France.