Shimon Peres: entre ombres et lumières…
Publié le 29/09/2016 à 21h50 | Accords Oslo, Arafat, Barack, diplomatie, Israel, Netanyahu, palestine, Politique, Prix Nobel, Processus de paix, Sharon, Shimon Pérès, Yitzhac Rabin | Écrire un commentaire
C’est une avalanche d’hommages qui s’est abattue dans les médias du monde entier depuis deux jours. hommages rendus par un nasse de présidents, gouvernants, dirigeants – essentiellement occidentaux – à la figure si marquante de l’histoire d’Israël que fut Shimon Peres. Et le pays accueille déja les grands de ce monde, pour une cérémonie d’obsèques nationales, à dimension internationale.
On y célébrera la mémoire du « dernier » de la génération dite des « pères-fondateurs » de l’état hébreu. Encore que Pérès fut plus un « fils-fondateur », sous l’égide de son « protecteur » David Ben Gourion. Il ne se distingua guère à l’heure de la fondation et de l’édification de cet état, sur les champs de bataille mais sut très vite se démarquer par son habileté diplomatique, son intelligence politique, sa force de conviction, qui lui permirent de remplir la mission qui lui avait été confiée: Parcourir le monde pour aider à Israel à bâtir une armée bénéficiant du meilleur de la technologie occidentale. Il s’acquitta de sa tache, trouvant les fournisseurs là où ils étaient, allant jusqu’a négocier l’achat d’armes conventionnelles par tonnes avec un pays alors placé au banc de la communauté internationale: L’Afrique du Sud de l’apartheid. Mais de cette époque l’on retient surtout ce qu’il obtint de la France, une aide fondamentale pour acquérir la bombe atomique. Israël lui doit de posséder le feu nucléaire.
Mais c’est surtout l’image de grand sage, et d »homme de Paix que l’on veut louer aujourd’hui. Le message est martelé à l’envie par tous ceux voulant saluer la mémoire d’un visionnaire, qui fut l’un des promoteurs essentiels des accords d’Oslo. La pluie d’éloges fait oublier un peu vite que l’image n’est pas aussi lisse et lumineuse qu’il ‘y parait. Et qu’elle fut souvent écornée, à l’intérieur même des frontières de l’état hébreu, par les compatriotes du leader, de tous bords et de tous rangs. C’est le grand paradoxe: Icône à l’étranger, Peres n’était pas prophète en son pays. Car l’animal politique qu’il était s’y est toujours, sous des dehors aimables et urbains, distingué par une ambition insatiable, dévorante, celle du pouvoir, celle de garder, à tout prix, sa place sur l’échiquier politique, quitte parfois pour cet apparatchik roué, à nouer des alliances parfaitement contre-nature. C’est oublier aussi que, s’il fut nommé 3 fois premier ministre, il perdit toutes les élections lorsque il dirigea le parti travailliste.. Et surtout celle décisive de 1996, qui allait aboutir à une condamnation du processus de paix et à sa lente agonie.
Un processus que, certes, il avait initié en nouant secrètement les fils du dialogue avec les palestiniens, à une époque, où pourtant il livrait encore à une bataille sans merci à Yitzhac Rabin pour le contrôle du parti travailliste. Entre les 2 hommes, tous les coups étaient permis. Quand Rabin finit par l’emporter, c’est ce dernier qui incarna, en première ligne, avec tant de force, de volonté et de courage, malgré les oppositions farouches, les espoirs de cette paix apparaissant soudainement possible. Rabin avait pour lui son prestigieux passé militaire, celui du général conquérant de Jérusalem, et paradoxalement, ayant été un « faucon » de premier plan – ordonnant notamment de réprimer sévèrement l’Intifada en livrant pour instructions de « casser les bras des lanceurs de pierre » – Rabin pouvait se poser en stratège de la paix, après avoir accompli une extraordinaire mue politique. Rabin qui disait « il faut combattre le terrorisme comme s’il n’y avait pas de négociations et négocier comme s’il n’y avait pas de terrorisme ». Rabin avait la légitimité pour imposer aux israéliens les sacrifices nécessaires au deal proposé par le camp palestinien: « La paix contre la terre ». Je me souviens de cette volonté de fer, qu’il exprima sur Europe1, quand j’eus l’occasion de l’interviewer, juste après le massacre d’Hébron commis par Baruch Goldstein en 1994. Il martelait de sa voix grave et profonde:« J’irais jusqu’au bout, jusqu’au bout, parce qu’il n’y a pas d’autre choix stratégique pour le bien et l’avenir de mon pays « . Et c’est pour cela qu’il avait accepté de « faire équipe » avec son rival intime, Shimon Peres. Les deux hommes avaient enterré la hache de guerre pour une cause devenue sacrée, celle de la Paix, ils avaient conclu un pacte tacite. Rabin avait besoin de toutes les bonnes volontés, et celle de Pères, qui avait initié le dialogue et su installer la confiance entre « négociateurs », lui était essentielle. En 1993, Rabin, Peres et Arafat reçoivent tous les trois le prix Nobel de la paix.
Puis vient le temps de parapher en grande pompe les accords d’Oslo à Washington, sous l’égide du Président Clinton. Le temps d’un formidable discours pour Yitzhac Rabin, celui d’une poignée de main historique avec Arafat… Une consécration pour le lent et long travail souterrain mené par Shimon Peres.
Mais c’était sans compter l’opposition terrible d’une frange de la société israélienne, laquelle manifestait bruyamment une haine féroce de son premier ministre, qu’elle n’hésitait pas à représenter dans des manifestations de rues, sur des affichettes ou des pancartes brandies ave fureur, coiffé d’un « keffieh », où même, image terrible, revêtu de l’uniforme nazi !
Et cette frange de l’opposition pouvait compter sur le soutien d’un certain…Benjamin Netanyahu, lequel était alors la figure politique montante du front du refus de la paix. On le vit même un soir haranguer d’un balcon la foule qui passait sous ses fenêtres portant un cercueil sur lequel le nom de Rabin avait été apposé… Bien peu de voix s’élevèrent alors contre ce déluge de violences qui n’annonçait rien de bon.
Le 4 novembre 1995, survint la tragédie: A la sortie d’un meeting, organisé justement pour le soutien à la paix, auquel participait bien sur Shimon Peres, et qui fut un immense succès populaire, le premier ministre de l’état d’Israël, Yittzhac Rabin est assassiné par un partisan de l’ultra-droite israélienne, Ygal Amir, un homme dont l’action préméditée, avait été bénie par des rabbins ultra-orthodoxes… A la tribune, Rabin avait déclaré, aux cotés de Peres: « J’ai été soldat pendant 27 ans, j’ai combattu aussi longtemps qu’il n’y avait pas de chance pour la paix. Maintenant, cette chance existe ». Une chance noyée dans le sang.
Le traumatisme fut immense au sein de tout le pays. De Tel-Aviv à Jérusalem, les reporters qui avaient pris le premier avion après le drame, et dont j’étais, pouvaient voir, à l’aube, partout, des centaines de milliers d’israéliens veillant et pleurant, désemparés et frappés par la honte. Les obsèques d’Ytzac Rabin, célébrées au cimetière du Mont Hertzl, restent gravés à jamais dans les mémoires de ceux qui ont pu y assister. Pendant un mois, j’ai ensuite sillonné sillonné le pays, menant une enquête sur les « assassins de la paix ». J’ ai rencontré alors Shimon Peres. L’homme avait pris naturellement la succession de Rabin, endossé le costume de Premier Ministre, et repris le flambeau. Plus que jamais, il s’était déclaré décidé à mener le processus de paix à son terme. L’élection de Yasser Arafat à la présidence de l’Autorité Palestinienne, qui s’était déroulée sans accroc, semblait indiquer que la voie était tracée. Mais Arafat avait aussi son opposition interne, prête à tout, et malheureusement, Shimon Peres allait révéler, dans des circonstances hostiles, ses « limites ». Sous la férule de commandos de la terreur, le Hamas et le Jihad Islamique allaient multiplier les attentats suicides sanglants, visant particulièrement les bus des transports en commun israéliens. La peur s’était installée partout. Dans les bus, les civils sans défense étaient tétanisés. En quelques mois, la population d’Israël, qui avait juré de poursuivre le chemin parcouru jusqu’au sacrifice ultime par Yitzhac Rabin, allait vaciller. Benjamin Netanyahu allait lancer toutes ses flèches dans la bataille cruciale, celle qui devait conduire aux décisives élections prévues en mai 1996. Il accusait Peres de ne pas être un vrai chef de guerre, de ne pas être capable d’assurer la sécurité des israéliens et se faire berner par un camp jouant double jeu.
La situation s’envenima lorsque, sur un autre front, pour tenter déjà de faire cesser les tirs de roquettes du Hezbollah contre Israël, et y voyant là sans doute l’occasion de devenir ce fameux « chef de guerre » qu’on lui reprochait de n’avait jamais été, Peres donna son aval au lancement d’une vaste ‘opération, présentée comme « contre-terroriste », de fait une vaste opération militaire au Liban, baptisée « Raisins de la Colère ». A un mois des élections… Le but était (déjà) de casser les positions de tirs du Hezbollah au sud-Liban et d’éliminer un maximum de ses chefs opérationnels. Mais le scénario des épisodes guerriers avec le Hezbollah tourne rarement en faveur d’Israël… Tsahal donna de sa puissance de feu jusqu’à Beyrouth. Et cette puissance de feu, allait faire de nombreux « dommages collatéraux ». De Nabatiyé jusqu’au tristement célèbre « massacre de Cana », le bombardement par l’artillerie israélienne d’une position de l’ONU où s’étaient réfugiés des centaines de civils.
J’ai encore le souvenir des casques bleus fidjiens, de véritables colosses, pleurant comme des enfants, où entonnant des chants chrétiens, au coeur des ruines fumantes, après le bombardement de leur position où s’étaient entassés les civils en pagaille. Le bilan avoisinait les 110 morts, et des centaines de blessés … Redescendant dans la vallée où se trouvait le premier hôpital, avec Gilles Delafon, alors reporter au JDD, nous avions croisé le gouverneur de la région de Tyr qui avait lancé rageusement cette formule: « Shimon Pérès est le prix Nobel du sang!« . Ayant déclenché une vague d’indignation internationale, et la colère onusienne, estimant que le bombardement était délibéré, et ne pouvait en aucun cas relever « d’une erreur technique » où une provocation du Hezbollah, explications avancées par Tsahal, cet épisode allait obliger les Israéliens à mettre fin à leur opération le 27 avril 1996.
Les conséquences négatives furent immédiates en termes de popularité pour Shimon Peres. D’autant que Netanyahu fit alors feu de tout bois, pour dénoncer l’irresponsabilité de son rival, et son incapacité à gouverner Israël. Malgré cela, jusqu’au dernier moment, le « candidat de la Paix » garda une légère avance dans les sondages. Mais le 29 mai 1996, les urnes allaient rendre leur verdict. Pour quelques milliers de voies seulement, le travailliste perdait son poste, et Benjamin Netanyahu, chef du Likhoud, accédait une première fois au pouvoir. » Au delà d’un défaite personnelle que Peres a très mal vécu, confie un de ses proches d’alors, cet échec allait hélas prendre une dimension historique. Donnant les pleins pouvoirs aux ennemis d’Oslo. C’était la seconde mort de Rabin, et celle annoncée d’un processus de paix, en lequel tant d’espoirs avaient été fondés ».
Ce revers cuisant, qui valut à Peres une étiquette de looser des grands joutes politiques, décernée par la bouillonnante presse israélienne, n’allait pas pour autant mettre fin à la carrière, de l’ambitieux. « Il a attendu son heure pour revenir, encore revenir » grince l’un de ses rivaux. Dans l’intervalle, il capitalise sur son image en fondant le centre « Pérès pour la paix ».
En 1999, la gauche reprend à Netanyahu les rênes du pouvoir, c’est l’ère Barak, celle du réveil d’un ultime et mince espoir pour le processus de paix. Revoilà Shimon Pérès ministre, mais de la coopération régionale ! Un petit maroquin dont il se contente, en espérant toujours mieux. Un an plus tard, l’occasion est là, le populaire Président de la République Weizmann abandonne ses fonctions. Pérès sort sa calculette, fait la tournée des popotes et ses comptes: Il se voit confortablement élu. Il fait déjà préparer sa cérémonie d’investiture, sauf que, les petits jeux électoraux, et les accords de coulisses accouchant souvent de surprises en Israël, c’est le très peu charismatique Moshe Katsav qui est élu.
Et puis Barak est tombé définitivement, après l’échec des négociations de « camp-david », emporté par la tornade du nouveau parti « Kadima » (en avant) fondé par un autre revenant, Ariel Sharon, l’opposant de toujours à toute espèce d’accord de paix, et de naissance d’un état palestinien. Qu’à cela ne tienne, encore assoiffé de pouvoir, Shimon Peres accepte le poste de ministre des Affaires Etrangères et celui vice-premier-ministre d’un gouvernement dit d’Union Nationale!
« Indécent » lâchera un ancien compagnon de route d’Ytzac Rabin. Mais révélateur de l’incapacité de Shimon Peres à résister aux » sirènes du pouvoir », quitte à laisser de coté ce qui semblaient être ses convictions intimes. Et à défendre une politique dure, encourageant la colonisation et conduisant à l’édification des murs et clotures « de sécurité » partout en territoire palestinien, au nom de la lutte contre le terrorisme. Un de ses anciens amis se souvient même avoir entendu publiquement Peres, qualifier alors de « terroriste », l’ancien partenaire des accords d’Oslo, Yasser Arafat. Autant de compromissions qui pouvaient lui valoir de se faire étriller par les éditorialistes de la presse israélienne, et lui conférer une étiquette de girouette opportuniste, de perdre son crédit auprès des siens, où d’être voué aux gémonies par nombre de palestiniens de tout rangs, mais étrangement, miraculeusement, Shimon Peres récupérait toujours son aura, lorsqu’il quittait les frontières de l’état hébreu, et était reçu comme un « vénérable sage » à la parole précieuse dès qu’il se rendait à l’étranger.
En, en 2007, au soir d’une carrière où il aura traversée toutes les époques, occupé toutes les fonctions, connu tous les postes, tous les honneurs, (et parfois le déshonneur raillent ses détracteurs), et incarné, malgré tout, un véritable espoir d’une paix pour laquelle il aura sincèrement oeuvré, Shimon Peres parvint finalement à se faire élire président de la République.
Lors de ses deux mandats à ce poste honorifique, il retrouvera de la hauteur, et regagnera en popularité et en estime. Il jouera de son charme, son humour, et du fait qu’il était « le dernier des mohicans » d’Oslo.« Ca n’a jamais été Mandela, loin s’en faut!, je vous l’accorde dit un de ses fidèles de ligue date, mais dans un paysage si tourmenté, celui dont personne n’a oublié qu’il fut Prix Nobel, et qui était doté d’un carnet d’adresses international sans équivalent, est redevenu sur le tard, cette figure de sage, et d’homme de paix, rassurante pour son peuple, et appréciée dans le monde entier. Il n’est qu’à entendre tous ces hommages qui lui ont été rendus, et tous ces hommes d’état ou têtes couronnées, aux destins et desseins politiques parfois si opposés, mais qui se sont empressés de confirmer leur venue aux obsèques ».
Parmi eux, bien sur, déjà présent en Israël, un de ceux qui l’a mieux connu, et qui s’est tant battu pour obtenir la paix entre israéliens et palestiniens, Bill Clinton. Dont il faut se certains se souvenir qu’il alla soulever l’enthousiasme des foules en se rendant à Gaza et en y prononçant un discours historique! Une visite mémorable, évidement impensable aujourd’hui pour haut-responsable américain.
Un jour dans une pirouette, l’ancien président US, avait lâché avec ironie: « Quand la presse israélienne évoque une nouvelle génération de dirigeants politiques, je sais que le jour venu, Shimon Peres sera en première ligne »
Frédéric Helbert