Nice: Sécurité insuffisante? Le pire était-il évitable? Le politique a failli? Enquête
Publié le 21/07/2016 à 22h27 | attentat, Cazeneuve, déficit hommes armes, Estrosi, faille dispositif, Nice, Polémique, Police Municipale, Police Nationale, responsabilité politique, Sentinelle, Valls, vidéosurvveillance, Vigipirate | Écrire un commentaire
C’est la première question qui n’a cessé de tarauder les esprits:. comment le camion du terroriste tueur de masse a pu pénétrer dans la zone piétonnière de la promenade des anglais, où la circulation était totalement interdite, et dont l’accès était censé être hermétiquement verrouillé par les forces de l’ordre un soir de grand rassemblement populaire, alors que des dizaines de milliers de personnes, dont bon nombre venues en famille, étaient venus assister au feu d’artifice du 14 juillet? Comment a t-il pu pénétrer en amont du dispositif sur la Promenade des anglais et y semer la mort et la dévastation avant de contourner le 1er barrage policier, et qu’a un second point de contrôle,près de 400 mètres plus loi, une simple poignée de policiers courageux, 3, 4 au maximum, n’ayant que de classiques armes de poing, (Sig-Sauer calibre 9mm) ne parviennent à « neutraliser » le tueur alors que la camion était à l’arrêt, après un ultime rush assassin dans la foule.
Voila qui n’allait pas sans poser quelques questions cruciales bien avant la publication des révélations du « Canard enchainé », suivies de l »enquête de « Libération » puis de la réaction immédiate et indignée du gouvernement, le tout mélangé ayant enflammé ‘une polémique devenue majeure aujourd’hui. Une polémique ouverte dès après l’attentat par Christian Estrosi, accusant l’Etat de ne pas avoir mis sur pied un dispositif de sécurité suffisamment étoffé. Accusation rejetée par le gouvernement, rappelant alors que plusieurs réunions organisées à la Préfecture de Nice, avaient aboutit à un consensus entre gouvernement et Municipalité quant aux mesures opérationnelles de sécurité à prendre. Un consensus « mou », n’exonérant aucune partie de leurs responsabilités…
Les questions soulevées dès après l’attentat, amenaient déjà, hors de toute volonté de s’inscrire dans une polémique politicienne, à s’interroger sérieusement sur la densité réelle, et la perméabilité de fait d’un dispositif censé bloquer l’accès à la Promenade des Anglais. Combien y avait-il d’hommes? Quelle était la répartition des taches entre policiers nationaux et policiers municipaux? Combien y avait-il de véhicules de polices présents? Les véhicules étaient-ils positionnés de manière à constituer un « vrai » barrage de fait, où pas? Et ce sur toute la largeur de l’axe? Avait t-on -alors que ce risque d’un attentat par voiture ou camion fonçant dans une foule fait partie depuis longtemps des scénarios catastrophes envisagés par les services spécialisés, avait-t-on pris toutes les mesures qui auraient permis de constituer un barrage le plus solide possible? Pourquoi et comment le camion avait pu s’engager sur la promenade des anglais et commencer à semer la mort, avant de se trouver face au dispositif policier et à le contourner?
Telles étaient les questions de mon enquête en cours, lorsque Libération a révélé, ce matin, photo à l’appui, qu’en apparence, le premier « barrage » positionné sur la promenade des Anglais était constitué de simples barrières, d’un seul et unique véhicule, et « géré » par la police municipale de Nice… En d’autres termes, rien d’efficace n’aurait été mis sur pied, pour bloquer efficacement l’accès à la promenade des anglais. Et la police municipale serait dans le « viseur ». Puisqu’elle en aurait pris le contrôle à la nuit tombée… Sauf que l’on a appris par la suite qu’un second barrage avait été érigé plus loin, sous le contrôle de la Police nationale, et que c’est au niveau de ce barrage, guère plus étoffé, que 3 policiers, « faiblement » armés ont neutralisé le terroriste tueur de masse en vidant les chargeurs de leur 9mm. Or jusqu’à ce jour, personne n’avait parlé de deux barrages… « On a nagé et on nage encore en pleine opacité » soutient un ancien grand flic, qui eut à gérer la sécurisation d’évènements majeurs par le passé.
Un fait est incontestable: Qu’il y ait eu un ou deux barrages, aucun n’était correctement « formaté » au regard des risques et de la menace. Le dispositif mis en place laissait la brèche ouverte. De fait, des choix à minima avaient été validées par l’Etat et la ville.
« En Israël, aux Etats-Unis précise l’ancien grand flic, expert en sécurité publique, des plots ou piles de béton armé, sont utilisés lorsqu’il s’agit de tenter de verrouiller le plus efficacement possible un axe routier. Il n’est pas besoin d’aller chercher si loin d’ailleurs. Nice avait en réserve des barres de béton utilisées pour l’Euro! » Mais là, personne n’a vu d’inconvénient à ce qu’on lève le pied et qu’on mette des plot en plastique! ». L’homme précise par ailleurs: « il est quand même incroyable qu’ici où là, on ait installé en France, à grands frais, des systèmes rétractables, pour verrouiller des zones piétonnières, afin d’assurer le « bien-être » des riverains, et que rien de ce genre, n’ait été fait dans le cadre de mesures de sécurité anti-terroristes dans l’espace public » . Un gendarme note pour sa part « On aurait-pu aussi disposer simplement une herse d’acier amovible, comme celles utilisés lorsque les forces de l’ordre dressent des barrages filtrants sur les routes ». Un camion aux pneus immédiatement crevés aurait-il pu aller au bout d’un course de 2km, en roulant sur les jantes?
Où était les hommes de « SENTINELLE »? Pourquoi personne ne disposait d’armes réellement efficaces?
La troisième question renvoie à la densité du dispositif déployé et aux effectifs déployés. On sait qu’il y avait des policiers nationaux, chargés d’établir et des policiers municipaux associés au dispositif. Mais étaient-ils en nombre suffisant? 180 policers nationaux a avancé Manuel Valls! C’est déjà bien peu mais le vrai chiffre est peut-être à diviser par deux selon un expert niçois. Evidement tragiquement suffisant pour penser pouvoir protéger un espace ouvert et 30 000 personnes assistant au feu d’artifice assure un « technicien » d’une unité d’élite.
Et ou étaient les hommes des dispositifs « Vigiipirate » et « Sentinelle? Y en avait-il sur la promenade des anglais à ce moment là? Les militaires étaient au nombre de 20 seulement si l’on s’en réfère toujours aux chiffres avancés par le 1er ministre. « Le paquet avait de fait été mis sur Paris en ce 14 juillet » explique anonymement un responsable . La capitale, son traditionnel défilé, son feu d’artifice géant, focalisaient toutes les attentions… Or il suffit de circuler dans les rues de Paris, de passer devant des dispositifs de sécurisation mobiles ou fixes, pour se rendre compte qu’a à Nice, non seulement les effectifs étaient insuffisants, mais surtout que les armes qui auraient pu être efficientes ont fait cruellement défaut à l’heure du carnage.
Les policiers et militaires affectés au dispositifs anti-terroristes, sont de fait souvent lourdement équipés. Pisttolet-Mitrailleurs, Fusils à pompe, FAMAS pour les soldats… font partie de leurs panoplie d’intervention.
Mais à Nice, les images le prouvent, les policiers intervenus, ont fait usage d’armes de poing manquant de puissance pour stopper d’une manière ou d’une autre la course meurtrière du camion tueur. Plus de trente impacts ont touchés l’avant du camion et la portière conducteur, avant qu’il n’en soit réellement fini du terroriste. Certains clichés semblent monter que les pneus n’ont pas éclaté….
Or, on peut légitimement penser que des rafales de PM, ou de FAMAS, ou des projectiles de calibre 12 (fusils à pompe), auraient pu pulvériser ce pare-brise, atteindre le tueur, déchiqueter les pneus de son camion, ou casser net son moteur. C’est ce que disent plusieurs experts que j’ai pu interrogé.
« Si l’on imagine que quelques militaires, ou policiers équipés correctement se soient trouvés en protection active, d’une foule ultra-dense, déployés sur la promenade des anglais et qu’ils aient pu réagir instantanément, le camion n’étant pas blindé, il y avait une chance de le stopper, voire de le faire dérailler de sa course en ligne droite, avant qu’il ne percute le gros de la foule » assure un ancien commando-parachutiste. Je ne dis pas ajoute t-il que cela aurait été gagné d’avance, loin s’en faut, mais s’il y avait une chance, une seule chance d’éviter le pire, elle était là… Malheureusement, pour des raisons qui restent à éclaircir, les militaires de Sentinelle étaient en très petit nombre et apparemment pas sur la promenade des anglais. Ceux qu’on a vu en masse en ville après l’attentat, étaient pour majorité des fusiller-marins héliportés et déployés en urgence et les policiers qui sont intervenus étaient sous-équipés. Songez que face à une situation dantesque, un civil, un motard, a tenté seul de s’accrocher à la portière du camion, pour tenter d’arrêter le massacre, c’est dingue »
« On ne refera pas l’histoire et l’objectif n’est pas de polémiquer en vain, encore moins d’alimenter le moulin à paroles de certains politiques multipliant des déclarations ineptes, lamentables, voire indécentes, qui ne les honorent pas » me dit un expert de terrain de la lutte anti-terroriste. Un autre insiste: « Nous savons que dès lors que des hommes sont prêts à mourir lors d’ action kamikaze, sans avoir subi d’entrainement particulier, sans être parti faire le Jihad, que tout peut devenir une arme par destination, et que l’état islamique, dit qu’il faut frapper n’importe où, n’importe qui, en cherchant à faire le maximum de victimes, on sait bien que l’on est en face d’une équation quasi-insoluble. Reste que les politiques ne peuvent se contenter de brandir cette équation, d’appeler à l’unité nationale, en refusant que soient fait en toutes transparences, des enquêtes approfondies, des « retours sur expériences » sur ce qui a pu dysfonctionner, sur des manquements éventuels, des erreurs, des fautes, des choses à corriger, sur ce qui a été fait, ou pas, sur ce qui devrait être fait à l’avenir. L’opacité ambiante n’amènera à rien de bon. A Nice, les conditions dans lesquelles le carnage est survenu posent des questions. de nombreuses questions, trop vite balayées par le Ministère de l’intérieur et les plus hautes autorités de l’état.
« Il est incroyable, que le gouvernement soit obligé, suite, à des révélations de presse, de déclencher une enquête de la police des polices, pour avoir des réponses claires. L’Etat sait très bien ce qui a été fait, où n’a pas été fait! » s’insurge un ex haut-fonctionaire policier, reconverti dans le privé, qui a vécu les errements de la communication après l’assaut lancé contre Mohamed Merah. « Les gouvernements passent mais les mauvaises manières » restent dit-il. La communication a été erratique, et les versions officielles relatives aux attentats de Charlie, ceux du Bataclan, et celui de Nice maintenant, ont été et restent sujettes à caution. L’Etat verrouille, plutôt que de devoir reconnaître les failles, des erreurs commises en plusieurs occasions. Et les autorités bétonnent becs et ongles. A ce titre, comment interpreter autrement l’incroyable requisition judiciaire des autorités, émise à la hâte, via la sous direction nationale anti-terroriste, demandant que soient effacées les enregistrements de la vidéo-surveillance de Nice du carnage, entre 22h30 et 8h du matin ! Et ce sous le prétexte inouï qu’elles ne risquaient d’être exploitées dans le cadre d’une fuite? » Un enquêteur de la DGSI estime qu’il ne s’agirait rien moins qu’une destruction de preuves, inédite dans l’histoire du contre-terrorisme français.
Nice contre le gouvernement: L’incroyable bras de fer
Mais selon les dernières informations venues de Nice, la ville refuse de céder à cette injonction! Le Procureur a été saisi par l’avocat de la ville. Nice veut que les enregistrements soient mis sous séquestre. Pour les protéger dans le cadre d’autres procédures que l’enquête terroriste pure… Preuve que les questions dérangent, mais il faut y répondre absolument estime un niçois qui s’insurge: « Rien n’a pu échapper aux caméras de sécurité, que des experts indépendants doivent pouvoir visionner pour faire le clair, et l’exigence de vérité demande que l’on ne cède pas à la sidérante demande de destruction des enregistrements, télécommandée à va-vite par les plus hautes autorités d’un l’Etat aux abois ». Nombre de magistrats s’interrogent aussi. L’indépendance de la Justice est piétinée selon eux. Un ancien du pôle anti-terroriste se désole: « Une fois encore, quelque soit l’estime qu’on puisse voir pour le Procureur Molins, force est de constater que toute l’enquête reste sous le contrôle du parquet de Paris, et donc du gouvernement ». De fait, aucun juge d’instruction n’a encore été saisi, 8 jours après la survenance de l’attentat. « Et c’est le ministre de l’Intérieur, lui-même, au coeur de la tourmente, qui saisit l’un de ses services, l’IGPN, pour faire l’enquête sur de possibles failles sécuritaires. « Indigne! » lâche un avocat de victimes. Il est évident que la lumière, toute la lumière devrait être faite sur la manière exacte dont le camion est rentré sur la promenade de anglais, sur la réalité exacte du dispositif policer, décidée par le politique, sur son armement, sur l’absence où la bien trop faible présence d’hommes traditionnellement voués spécifiquement à protéger les français de la menace terroriste, qui peut-être, peut-être, auraient pu faire quelque chose. On ne peut pas tout enterrer à la va-vite, balayer sous le tapis, ce qui interroge, interpelle sérieusement, au prétexte ,sans cesse rabâché, qu’il faille préserver l’unité nationale. Ce ne sont pas les policiers qui sont en cause et qui ont tout tenté, non, mais les donneurs d’ordre, les politiques qui ont failli. La transparence est bien la moindres des choses que l’on doive aux victimes directes de la catastrophe, et par delà ces victimes, leurs proches, à tous les français. Mais je n’ai malheureusement pas l’impression que l’état veuille prendre ce chemin. Il est même parti en sens inverse. Nous ne le laisserons pas piétiner injustement et impunément l’exigence de vérité.
Frédéric Helbert