Perwer M Ali, journaliste « wanted » que la France refuse d’accueillir
Publié le 28/12/2014 à 23h49 | @perwerjean, Daesh, demande d'asile politique en France, diplomatie, jihadistes, journaliste, Kobané, Perwer Muhammad Ali, Refus, syrie, Turquie, wanted | 4 commentaires
Perwer Muhammad Ali, le journaliste de Kobane « wanted » à qui la France refuse d’accorder l’asile politique!
-Enquête-
Perwer Muhammad Ali est un jeune journaliste kurde syrien. Un reporter courageux, toujours souriant, méprisant le danger, et qui connait Kobane comme sa poche. C’est sa ville. Il yi y survit comme tous les autres civils qui n’ont pu où voulu quitter la ville-fantôme longeant la frontière turque, devenue le symbole d’une extraordinaire résistance face aux jihadistes de Daesh et toute leur puissance de feu. Lorsque la ville a été attaquée il y a plus de 3 mois maintenant, les forces la défendant l’ont décrété « zone militaire totale ». Et ont demandé aux civils de partir. Pendant qu’il était encore temps. « C’était une question stratégique dit l’un des leaders de la principale composante de la résistance à l’envahisseur jihadiste, les YPG, où YPJ (pour les femmes) « unités de protection du peuple ». Moins il y a de civils, moins il y a de problèmes logistiques, et d’obligation pour nous à veiller sur le sort de populations sans défense. Ca l’était d’autant plus que Daesh a fait une percée terrible dans les premiers jours, après avoir encerclé la ville, l’avoir pilonné sans cesse avec l’artillerie lourde récupérée auprès d’une armée irakienne, mise en déroute, en abandonnant armes et équipements alors que les jihadistes avaient lancé une offensive conjointe en Irak et en Syrie. Avant que la résistance s’organise. Aujourd’hui elle en passe de renverser la situation au prix de combats acharnés »
Un Journaliste dans le collimateur de la Syrie, des jihadistes, de la Turquie…
Perwer Muhammad Ali n’est pas un combattant. Sa passion est le journalisme. Ancien professeur d’anglais, il s’est découvert, sur le terrain, une vocation. et pense, que les reporters ont, sur un théâtre de guerre, une mission aussi importante que celle des combattants. « Mes armes à moi dit Perwer, ce sont mes yeux, ma caméra, mon appareil photo, ma capacité à témoigner« . A ceci près que Perwer est dans une situation bien particulière et peu enviable. A l’intérieur de Kobane, sa vie est en danger partout -ce qui est le lot de tous- mais elle l’est aussi en dehors du bastion de la résistance kurde.
Plus jeune, il a refusé de faire son service militaire dans la Syrie de Bachar-el-Assad. Il a toujours eu les armes en horreur. Ce qui fait de lui un « wanted » dans son propre pays. Refuser de faire son service militaire en Syrie, c’est devenir un ennemi de l’état, un homme à abattre. Il est citoyen non grata à l’intérieur de son propre pays, où de ce qu’il en reste. S’il parvenait à sortir de Kobane, et du « terrain kurde » il deviendrait une cible immédiate pour les fidèles de Bachar.
Journaliste, esprit ouvert à la culture occidentale, refusant de se soumettre à tout dogme, Perwer Muhammad Ali est aussi une cible pour les jihadistes de l’état islamique où Deash où tout autre faction. Les islamistes ont détruit sa maison familiale dans Kobane avec une voiture-piégée. « Ils m’ont même arrêté une première fois. En juillet 2013. Je revenais d’Istanbul avec des dizaines d’amis. Daesh pensait que j’étais un militaire YPG. Ils m’ont gardé 5 jours, m’ont battu, m’ont menacé alors régulièrement de décapitations. Avant de me relâcher.Sans explication. Mais en me disant qu’ils viendraient un jour envahir Kobane. La situation était déjà terrible, mais ce n’était rien à coté d’aujourd’hui! Aujourd’hui, tout le monde sait que je travaille pour des médias kurdes, et que j’ai aidé les journalistes venus à Kobane. Que j’ai travaillé avec CNN. Que je suis passé sur la chaine d’infos française I>télé. S’ils me capturaient je pense qu’ils me tueraient immédiatement sans hésiter »…
Et puis lorsqu’il a pu fuir Kobane une première fois, avec un groupe d’environ 150 civils, alors qu’il se croyait sauvé, il a été sitôt la frontière passée, arrêté, comme tout le groupe. « Il y avait des femmes dont une enceinte et des enfants parmi nous, mais la police turque nous a considéré comme des combattants possibles. C’était stupide. Tous les combattants n’ont qu’une seule idée: Rester à Kobane, et s’y battre jusqu’à la libération, quelque en soit le prix à payer! Nous avons été retenus, tous dans un grand hangar, sans aucune hygiène, dans des conditions déplorables pendant 15 jours! Il y a eu des interrogatoires pour le moins brutaux. Les turcs voulaient absolument que l’on avoue faire partie de la résistance, qu’on était des membres du PKK!, (organisation classée terroriste contre laquelle la Turquie livre une bataille sans merci).
Perwer Muhammad Ali qui a réussi a conserver son portable lors de cette détention (!) parvient alors à lancer un cri d’alarme, notamment sur l’antenne d’I>télé, mais aussi sur « Vice news » en anglais. La pression des défenseurs des droits de l’homme font que le groupe est finalement libéré. Le jeune journaliste ne veut pas rejoindre sa famille qui a trouvé un abri clandestin en Turquie. « Je les aurais mis en difficulté; Il n’en était pas question pour moi. pas plus que d’échouer dans un des camps de réfugiés de Suruc, ville turque frontière de Kobane. « Le seul choix qu’on ma laissé était de revenir dans l’enfer de la guerre. Je ne pouvais aller nulle part ailleurs. Je n’en avais pas le droit, et n’avait aucune protection contre toutes les menaces possibles contre moi, qui demeurent ».
L’heure de la demande d’asile politique à la France
c’est alors que Perwer pense à la France. Il entre alors en contact avec le consulat français. récupère par mail le formulaire de demande, le remplit consciencieusement. et obtient un rendez-vous. Il en reçoit la confirmation écrite. Le rendez-vous est fixé au 5 novembre dernier.
Il s’y rend le jour dit, l’espoir au coeur. Il va déchanter rapidement. C’est le consul général adjoint d’Istanbul qui le reçoit lui commence par lui demander de décrire les problèmes auxquels il est confronté dans son pays.
Faisant référence à tout ce qui a été écrit au début de cette enquête, Perwer Muhammad Ali explique la situation inexcitable qui est sienne. Il raconte qu’il a suivi les consignes des autorités militaires de la ville, demandant le 5 octobre aux civils et aux journalistes de quitter Kobane. Il raconte que les turcs ont laissé passer son groupe, avant de le placer immédiatement en détention. Puis mentionne son cas particulier. Il n’a plus de maison. Il est un Wanted en Syrie. Il a déjà été détenu une fois par des jihadistes. Et il n’est pas, c’est le moins que l’on puisse dire, en odeur de sainteté en Turquie.
Là l’entretien prend un tour kafkaïen. Le journaliste kurde dit n’avoir ressenti aucune hostilité de la part de son interlocuteur. « Il était plutôt sympa selon Perwer mais semblait appliquer une procédure administrative à la lettre.
– Vous êtes vous enregistré auprès des autorités turques? de l’UNHCR (l’office onusien pour les réfugiés) demande placidement le diplomate français?
Le jeune kurde explique qu’ayant passé 15 jours en détention, une telle démarche était impossible. ll ajoute que les turcs ne lui ont proposé qu’un renvoi vers des zones proches de Kobane, truffées soit d’agents syriens où d’islamistes! ou des deux… Et que les turcs lui ont dit: – on te relâche à cause de la pression médiatique, mais si on te voit n’importe où dans le pays, tu retournes en prison aussi sec. C’est pour cela que je me déplace clandestinement déclare alors Perwer, et que bien évidement je crains de me présenter devant n’importe quelle institution officielle.
Nouvelle question made in France- Avez vous songé aux camps de réfugiés pour les syriens? et si non Pourquoi?
– Non je ne veux pas y penser! répond Perwer M. Ali. Ces camps sont faits pour les syriens qui n’ont pas de problèmes politiques, qui n’ont pas le désavantage d’être kurdes et ils sont régis par la Turquie qui croit toujours que suis en cheville avec les YPG! Où le conseil national kurde. Ils n’en démordent pas! Et puis ces camps sont pour moi des endroits « officiels » Or iles rurcs m’ont menacé. Ils ne veulent plus me voir!
– Et comment vivez-vous en Turquie actuellement, avec quels moyens, quels contacts?
– Je me déplace secrètement. Je vous l’ai dit. Quelques amis me permettent d’avoir juste de quoi survivre. Et je ne veux ni joindre, ni rejoindre ma famille. Il n’est pas question que je les mette en danger. Leur situation est si précaire! Je ne peux pas vivre en Turquie pour les raisons que je vous ai exposé. Et je me permets de vous donner toutes les preuves témoignant de que j’ai subi et de ma situation. C’est public. Vous trouverez des vidéos sur « You Tube », des articles de l’agence Reuters qui relatent tout et confirment tout, y compris ma première arrestation par les islamistes!
L’entretien s’arrête là. Perwer M Ali a fait le maximum. Le consul explique que la décision ne dépend pas de lui, qu’il va faire suivre le dossier;. le journaliste est dès lors contraint à retourner attendre la décision à Kobane. Où je vais le rencontrer comme d’autres confrères. Tous se félicitant de son courage, sa bonne humeur contre vents et marée, et son incroyable connaissance de la ville et des chemins de fortune crées entre les ruines, et passant littéralement à travers des murs de dizaines de maisons déjà dévastées et vides d’habitants, où les murs ont été percés pour permettre de traverser certaines zones à couverts dans Kobane, ou la bataille des snipers fait rage.Par ailleurs, ses traductions sont précieuses en un lieu où si peu parlent une langue étrangère.
Perwer va garder l’espoir jusqu’à ce que le couperet tombe: il y a une dizaine de jours, il reçoit un coup de téléphone d’une brièveté remarquable.C’est un fonctionnaire diplomatique qui le joint.
Votre demande d’asile en France a été refusée, lui annonce t-on, sans plus de précision. La fin d’un rêve.
A ce jour, le journaliste kurde continue son travail auprès des rares reporters étrangers se rendant à Kobane… avec des bleus au coeur, d’autant que la Suisse auprès de laquelle le journaliste avait aussi déposé une demande d’asile l’a rejeté quelques jours avant Noel.
« Je veux garder l »espoir dit pourtant celui qui est guetté par tant de menaces. Je ne veux pas fur Kobane, là où mes amis, mes frères, mes soeurs combattent.. Vous le savez, je suis monté au front avec vous, sans armes. Mais je me sentirais plus utile ailleurs pour défendre notre cause, qui est aussi la votre! Kobane ne doit pas tomber dans l’oubli. Je veux témoigner à la face du monde de l’incroyable combat que livre mon peuple. Et puis je veux croire encore en la France. On m’a appris qu’elle était la patrie des droits de l’homme, la mère des terres d’asile. J’ai été terriblement déçu quand en quelques secondes, on m’a dit non! Il me semblait que les conditions étaient réunies pour que j’obtienne cette chance d’avoir un nouvel horizon. Mais bon, les choix que j’ai fait dans ma vie, et qui ont fait de moi un « wanted », je les assume. Bien sur, c’est dur d’être rejeté par la France mais La mort ne m’effraie pas plus qu’un autre ici, combattant où civil. Si elle doit venir elle viendra. L’essentiel est que Kobane retrouve la liberté, et que mon peuple ait enfin accès à ses droits ».
Frédéric Helbert