Remi Fraisse: « Autopsie » d’une bavure à tous les étages
Publié le 13/11/2014 à 01h14 | Barrage Sivens, Cazeneuve, enquête, Gendarmerie, gouvernement, grenade, Hollande, Justice, origines décès, Rémi Fraisse | 2 commentaires
Révélations sur une enquête brûlante.
« Si des fautes ont été commises, il y aura des sanctions ». Ainsi s’exprime le Ministre de L’intérieur, Bernard Cazeneuve le 30 octobre 2014, soit 3 jours après la mort du manifestant contre le barrage de Sivens tué lors des affrontements survenus avec les gendarmes dans la nuit du 26 au 27 octobre. Bernard Cazeneuve incluait-il lui même dans le lot de ceux qui auraient commis des fautes et pourraient être sanctionnés? « Question provocante? « Mais qui question mérite d’être posée indique une source proche du dossier, tant, fur et a mesure des avancées de l’enquête, le degré d’implications du politique apparait -à tous les niveaux- évident à la fois dans la chaine tragique des événements et dans une volonté d’étouffer des informations sensibles ». Manifeste aussi son peu d’empressement à faire état d’une vérité constatée par les gendarmes sur le terrain à peine une demi-heure après que le manifestant ait été touché, de plein fouet. Rémi Fraisse a été mortellement atteint par une grenade offensive, de modèle GLI-F4, à effet assourdissant et fumigène, et contenant du TNT.
Il est de fait établi désormais (selon d’autres sources très au fait du dossier), que contrairement à ses déclarations postérieures au drames, la hiérarchie de la gendarmerie, placée sous l’autorité du Ministère de l’Intérieur avait reçu, avant la manifestation, des consignes –via le préfet du Tarn– « d’extrême fermeté sur le terrain ». Cette information précieuse, s’inscrit en totale contradiction avec ce qu’a dit Bernard Cazeneuve au lendemain du drame. Elle vient pourtant d’un des chefs d’escadron qui a été interrogé dans le cadre de l’enquête de flagrance, quelques heures après les faits. Or la gendarmerie est un corps extrêmement hiérarchisé. Et cette consigne avait fait l’objet d’une note écrite. Le chef d’escadron l’a spécifié spontanément, sans que la question lui soit posée, le fait mérite d’être souligné et la donne est d’importance.
Les autres révélations sur l’enquête n’en sont pas moins édifiantes quant au silence du gouvernement et de la Justice, et au flou ayant subsisté sur les origines de la mort de Rémi Fraisse, pendant près de 48 heures, alors que les faits étaient parfaitement établis dès la nuit du drame.
Ainsi, il apparait à la lecture de divers procès-verbaux, que les gendarmes ont très vite compris la gravité de ces faits. Quasiment à l’instant T. Peu après 1h40 du matin, le 26 octobre, alors que des affrontements violents sont engagés, après l’envoi d’une grenade offensive P4, un gendarme muni de jumelles de vision nocturne aperçoit un manifestant qui s’est effondré au sol. Il le signale. L’homme est à terre et ne bouge plus. Un autre gendarme (tout est alors enregistré par les caméras go-pro dont sont équipés alors les forces de maintien de l’ordre) ne veut pas croire au pire:
« Il va se relever, il va se relever » crie le gendarme. Mais Rémi Fraisse mortellement touché ne se relève jamais. Vers 1h50, un gradé ordonne: « stop pour les P4. Le mec est là bas. Pour l’instant on le laisse là bas, on bouge pas ». Les minutes passent, rien ne change. Alors à 2 heures du matin, l’ordre change: « on y va » lance le gradé demandant la constitution d’un peloton pour aller chercher le corps inerte, dans un contexte encore très tendu. Puisqu’une une autre unité est requise pour protéger la progression du peloton.
Le corps est ramené. Une large blessure au dos est visible. Le gradé s’inquiète: « il respire, ils respire encore? ». Négatif. Rémi Fraisse ne respire plus. Un des infirmiers de la gendarmerie tente de relancer le coeur. En vain. Le massage cardiaque n’y fait rien.
A 2h03, le 26 octobre, c’est fini. « Il est décédé le mec, c’est vachement grave. Faut pas qu’ils sachent ». lâche un gendarme. C’est ainsi qu’est constaté le décès de Rémi Fraisse dans des conditions qui ne laissent planer aucun doute quand à son origine. Nombreux s’interrogeront sur cette phrase: « faut pas qu’ils sachent », retranscrite dans un des PV. A l’évidence cette phrase évoque les autres manifestants. On peut aisément alors imaginer dans quelle violence totalement incontrôlée, la manifestation aurait basculée, si l’information s’était répandue.
Mais selon une source de haut niveau en poste au Ministère de l’Intérieur, l’information ne serait pas, contre toute attente, immédiatement « remontée »… Ni à la Préfecture, ni chez le Procureur, pas plus à la Direction Générale de la Gendarmerie, qu’au Ministère de l’Intérieur au Ministère de la Justice, où à L’Elysée… Faux selon un autre haut-fonctionnaire: « Imaginez-vous, interroge cette source que les gendarmes aient pu garder « sous le manteau » sans la transmettre aux hiérarchies concernées, une pareille info? Ce serait une faute grave et l’on ne voit pas l’intérêt d’une telle manip »
La meilleure preuve que l’info remonte est qu’immédiatement les ordres redescendent: une enquête de flagrance est enclenchée pour déterminer les circonstances exactes du décès. Et tous les « acteurs » du drame sont entendus dans la nuit même une première fois. Du maréchal des logis qui affirme avoir tiré la grenade « en cloche » (et non en tir tendu) à ceux qui dirigeaient la manœuvre, ceux qui l’ont observé et notamment le chef d’escadron qui tient immédiatement à ce que soit notifié le fait que des consignes d’extrême fermeté avaient été transmises.
Selon plusieurs PV, les conditions de la mort de Rémi Fraisse étaient claires dès l’origine, pourtant un « flou » total va être entretenu pendant près de 48 heures. « La encore dit un ancien conseiller police d’un ministre de l’Intérieur, cela a été fait a dessein. Et les ordres n’ont pu venir que de très haut. Pour éviter un nouvel embrasement général. Le souci de la manifestation de la vérité était alors secondaire pour des autorités à cran ».
Vont s’en suivre toute une série de déclarations, venant notamment du procureur du Tarn, mais aussi de responsables politiques, entretenant l’ignorance quant à l’origine de la mort de Rémi Fraisse. « Il a été décidé de mentir délibérément, où si vous préférez de ne pas laisser une évidente vérité filtrer » dit encore l’ex-conseiller Police de la Place Beauvau. Le communiqué de la Préfecture du Tarn évoquant la découverte le lendemain des faits d’un corps dans une forêt était une manœuvre qui a fait long feu ». La position de Cazeneuve qui dit n’avoir rien su avant cette découverte, qui nie avoir donné de quelconques consignes de fermeté aux forces de l’ordre est désormais très fragilisée ».
Car, de fait, Il faudra attendre que l’on évoque la présence de traces de TNT, (substance utilisée pour la fabrication des grenades P4), puis qu’on laisse soit disant le temps aux experts de faire le lien avant que ne soit officiellement privilégiée la thèse du décès du au jet d’une grenade offensive par les gendarmes, puis que la vérité ne soit péniblement confirmée, 48 heures après la survenance de faits qui ne laissaient aucune place au doute s’il on en croit les déclarations des acteurs principaux du drame.
Un gendarme haut-gradé s’exprimant sous couvert de l’anonymat, pour des raisons aisément compréhensibles, dit que son corps d’armes n’a pas l’intention de payer ce que les politiques n’assument pas. « Je connais le chef d’escadron qui a déclaré que le préfet du Tarn avait donné des consignes d’extrême fermeté venues « d’en haut ». Ce n’est pas le genre d’homme à mentir pour couvrir ses hommes. Si il la déclaré expressément que ces consignes sont venues, c’est qu’elles sont venues. De la même manière, s’il pense que celui qui a tiré la grenade a fait une faute, il le dira. C’est un peu facile de nous envoyer au « carton » en lâchant la bride, pour ensuite essayer de nous faire porter tout le chapeau. Les hommes qui étaient sur le terrain obéissent aux ordres. Ni plus, ni moins. Si une faute a été commise par le maréchal des logis ayant tiré la grenade, l’enquête le dira, nous assumerons. Mais aux politiques qui sont à la barre où prétendent l’être, d’assumer leurs consignes, les ordres qu’ils nous donnent, et de rendre des comptes quant à leur volonté évidente de cacher ce que nous avons clairement dévoilé dès la nuit du drame, et qu’ils ont clairement camouflé tant qu’ils ont pu. Nous ne serons pas dans cette affaire, où chacun sait que nous avons eu en face de nous des gens qui ne souhaitaient qu’en découdre et n’avaient rien à voir avec les manifestants, les brebis galeuses et les bouc-émissaires. Nous sommes un corps républicain. A la République d’assumer sa politique en maintien de l’ordre, avec les risques inhérents. La Gendarmerie si elle a fait une faute en l’espèce en sera comptable, mais elle n’est pas là pour payer les pots cassés d’une politique erratique qui de fait nous fait porter le chapeau! »
Frédéric Helbert.