L’état islamique, le casse-tête du renseignement US
Publié le 15/10/2014 à 13h44 | Bachar, Bagdad, califat, CIA, Daesh, Etat Islamique, faillite Renseignement, Irak, Kobané, Liban, menace, Obama, syrie, USA | 1 commentaire
L’échec majeur des Services de renseignements US et de leurs alliés face à la menace de l’état islamique.
A Beyrouth, Frédéric Helbert
Tant à Washington que sur le terrain, au proche-Orient où dans la péninsule arabo-musulmane, malgré tous les efforts déployés par la CIA, d’autres agences du renseignement US et ceux les services « amis », l’ état islamique, (Daesh, ISIS, ISIL) garde l’essentiel de ses mystères sur ses stratégies, pour l’heure gagnantes, ses capacités opérationnelles, et son organisation interne.
Le diagnostic implacable d’un expert libanais
« C’est un échec retentissant pour des agences de renseignement aussi puissantes que celles des Etats-Unis, le pays qui dirige une coalition aussi bancale que peu efficace » explique un général libanais. L’homme qui a ses entrées aux USA, aussi bien qu’en France et dans la région ne pratique pas la langue de bois. « La guerre contre une organisation terroriste dit-il, en l’occurrence la plus puissante et violente jamais connue, et qui connait toujours une ascension irrésistible, ne peut se gagner sans le renseignement. Sans que ne soient récoltés un maximum d’éléments sur le fonctionnement interne de la dite organisation, le nombre exact de ses combattants, le niveau de son armement, de ses ressources, et un tableau aussi précis que possible de de sa hiérarchie interne. En l’état, concernant Daesh, c’est presque le trou noir, l’opacité quasi-totale, l’incapacité à recueillir les informations qui permettraient d’anticiper, de prévenir, de cerner les cerveaux, les chefs opérationnels, de les cibler, de frapper à la tête et au coeur, de casser la machine, et d’arrêter l’hémorragie, la contagion qui gagnent aussi mon pays. On en a peu parlé en Occident, mais des soldats libanais qui ont fait le coup de feu contre Daesh à Ersal ont aussi été décapités par les islamistes, des dizaines ont été fait prisonniers, enfin il apparaît que certains auraient abandonné l’uniforme et aient rejoint les rangs de Daesh « .
Le militaire va plus loin. « Sans le renseignement l’action n’est rien! Au vu des moyens déployés, au plan opérationnel les frappes aériennes actuelles n’ont pas d’effet réel sur les forces de Daesh qui avancent sur presque tous les fronts. Et leur propagande fonctionne à plein sur ceux qui ont été, sont ou seront fascinés par le « concept » du retour du « califat ». Ce califat n’est pas un « Jihadland », mais plutôt un « Sunniland », une terre sacrée pour ceux des sunnites qui considèrent que leur ennemis premiers sont les chiites. Le Jihad, quelle que soit la forme qu’ils prenne, est pour eux un moyen pas une fin. Or les USA comme d’autres pays possèdent des services de pointe, de renseignement civils ou militaires. Qui devraient être en mesure d’obtenir des informations précieuses pour qu’au moins les frappes aériennes aient un impact sérieux. Qu’elles fassent mal, très mal à l’organisation. En l’état, ce n’est pas le cas. Et ca ne peut l’être faute de présences d’équipes au sol. Le renseignement électronique, si sophistiqué soit-il, a toujours ses limites. La Turquie, sans laquelle rien n’est possible, joue double jeu. Avec un cynisme affiché et assumé. Alors il faut arrêter de dire que l’on va détruire l’état islamique, l’éradiquer. On ne joue pas les matamores en pareille situation. Cela ne fait que galvaniser l’ennemi. Et décridibilser son propre camp ».
« Le drame ajoute le général libanais, qui connait bien les arcanes de la communauté du renseignement US, est que les services américains sont dans le « bleu ».
Sur combien d’hommes peut compter exactement l’état islamique? Les estimations varient chaque jour. 10000, 20000, 30000? plus? Personne ne sait réellement. Seule certitude, malgré les pertes qu’ils subissent, ils gagnent chaque jour de nouveaux soutiens.
Qui sont dans le cadre d’une organisation au fonctionnement strictement pyramidal les chefs, les lieutenants, les principaux leaders, les stratèges? Où se cachent-ils? Là encore, le flou. Les américains essaient de mettre des noms, des photos, des lieux, des infos sur des points d’interrogations. Sans grand succès. Les services « alliés » ne sont guère plus efficaces. Ce qu’on sait précise le militaire libanais, c’est que nombre d’islamistes ont été à une époque où une autre, arrêtés alors que les USA occupaient l’Irak « libéré ». Que c’est l’organisation la plus féroce, fondée dès 2003 (année du déclenchement de l’opération « freedom for Irak », par Abu Moussab el Zarkaoui, – un jihadiste s’autorisant toutes les violences et précurseur des décapitations filmées d’occidentaux notamment- qui en évoluant a donné lieu à la naissance de l’Etat islamique pour l’Irak et le Levant », avant qu’Abu Bakr el Bagdadi, (qui fut lui aussi détenu par les américains) ne la transforme en cet « état islamique » capable de faire en sorte que des milliers ce combattants étrangers, des européens, des familles entières ne rallient de fait, sur le terrain, un terrain de guerre, l’organisation, et que des groupes terroristes, anciennement affiliés à Al Qaida fassent allégeance.
Le retour de boomerang de la « guerre contre le terrorisme »
Comme elle a été crée en Irak, de nombreux anciens officiers bassistes, ayant basculé dans la radicalisation pour combattre et « l’ennemi chiite », et « l’ennemi américain », ont rejoint les rangs de l’organisation, qui n’a jamais cessé d’opérer. « Certains dit l’officier-supérieur libanais, avaient de vraies compétences, tant au niveau organisationnel qu’opérationnel. A cet égard, La décision qui fut prise par Washington de dissoudre l’armée irakienne juste après l’invasion de Bagdad a été plus qu’une lourde erreur aux conséquences terribles, quand à l’alimentation incessante des réseaux terroristes. Ajoutez tous ceux qui étaient détenus dans les prisons syriennes quand l’Occident a fait pression sur Assad, et qu’il a relâché lorsque le soulèvement populaire a éclaté en Syrie, et vous avez aujourd’hui un retour de boomerang d’une puissance insoupçonnée pour les américains, et sur le terrain pour les populations irakiennes, syriennes, kurdes… Ainsi qu’une menace d’actions à l’échelon mondial impossible à quantifier. Mais la terreur est partout: Même ici à Beyrouth, les populations chrétiennes s’inquiètent et s’arment. La menace Daesh, qu’elle soit sur-évaluée où non, provoque toutes sortes de réactions dont certaines sont irrationnelles, mais bien réelles ».
La faute des espions US: Lourdes conséquences
Les hommes du renseignement américain l’avouent aujourd’hui. Ils ont sous-estimé cette menace qui grandissait, et malgré le niveau de violences qui ne cessait d’augmenter en Irak, et la décision de Daesh, alors « subventionnée » par les saoudiens, d’aller s’implanter dans une Syrie plongée en plein chaos, et d’y capturer, où racheter à de petits groupes un maximum d’otages, de décréter le retour du califat, rien n’a été fait. Obama lui n’avait qu’une idée: faire en sorte que ses troupes quittent définitivement le bourbier irakien. Et ne pas envoyer ses troupes dans l’enfer syrien. « L’histoire de la pseudo « ligne rouge », liée à l’utilisation des armes chimiques (cf Paris-Match, le blog) n’était qu’un leurre! Pensez qu’aujourd’hui Bachar continue à utiliser ce type d’arme, auquel, officiellement, il a renoncé, et qui auraient toutes été détruites.
» En Irak, Daesh n’a cessé de prospérer. Les USA se sont longtemps réfugiés derrière l’idée qu’ils avaient fait du « bon boulot » en formant la nouvelle armée irakienne. En l’entrainant en la dotant de ses meilleures armes se lamente le haut-gradé-libanais. Tout le monde savait dans la région qu’elle ne valait rien. Qu’elle était minée par les dissensions internes, la corruption, et que l’ex-premier moniste chiite Al-Maliki s’était accaparé tous les pouvoirs, provoquant la colère de la minorité sunnite. Le « laisser-allez » l’a emporté. Et au bout du compte, on a vu que les hommes de Daesh, survoltés, bien-équipés, ont lancé une offensive-éclair qui a fait voler en éclats un équilibre qui n’était que de facade, et ils ont fait main basse sur quantité d’armes lourdes et d’engins made in USA. L’idée que maintenant les américains renvoient en catastrophe, conseillers militaires et quelques équipes de forces spéciales qui pourraient remettre à flots une armée experte dans la fuite du combat, est naive et signifiante du désarroi US ».
Les hommes de la CIA observent la capacité de l’état islamique à s’adapter au degré de résistance, à le contourner, ne pas l’affronter directement parfois. A faire évoluer leurs troupes vers d’autres objectifs. Ainsi ont-ils conquis récemment dans la province d’Al-Ambar de nombreuses positions que l’armée irakienne a été incapable de tenir. Les services voient aussi que les islamistes savent utiliser d’autres moyens que le combat conventionnel. Ainsi Bagdad selon les observations satellites est encerclée à 180° à distance par les hommes d’Abu Bakr el Bagdadi. Mais aucune offensive majeure n’est déclenchée. Le morceau est trop gros. En revanche des cellules terroristes frappent à l’intérieur de la capitale irakienne à coups d’attentats-suicdes et de voitures-piégées. « Comment voulez-vous les déceler s’interroge ma source, tant la mégapole irakienne regorge de caches possibles? Seul le renseignement le permettrait, or là encore, le renseignement fait cruellement défaut, comme il a fait défaut durant l’occupation américaine.
La bataille de Kobané, symbole de la discorde, et de l’incapacité occidentale
Si les troupes de Daesh sont mobiles, et capables de mouvements importants, malgré les frappes aériennes si peu efficaces, leur objectif principal reste aujourd’hui la ville syrienne de Kobané (Ain-el-Arab). Objectif à la fois stratégique le long de la frontière turque et hautement symbolique. Encore un loupé du renseignement à la base car il a bien fallu que l’état islamique achemine ses hommes et son matériel lourd il y a un mois pour attaquer. Et Les informations récemment recueillies, font état d’envoi maintenant de combattants supplémentaires, venant de partout, pour épauler les islamistes déjà présents dans la ville, auxquels les kurdes syriens, exsangues, dépourvus de tout ravitaillement livrent un combat farouche et déséquilibré sous l’oeil impavide des forces turques. « Les frappes aériennes de la coalition ne font que retarder une terrible échéance pronostique le général libanais. Notez que par crainte de voir les islamistes utiliser des missiles Sol-Air, aucun hélicoptère d’attaque, qui serait indispensable dans cette configuration, n’est mis à contribution! Les condamnations internationales se sont multipliées, visant notamment la Turquie, mais condamner c’est parler, ce n’est pas agir. Dans un sorte de « rush » soudain, pour se donner bonne conscience peut-être, la coalition a densifié les frappes ces derniers jours, (une vingtaine en 48 heures) il est trop tard. La bataille de Kobané est devenue maintenant une affaire de guérilla urbaine. Et les hommes de Daesh occupent des quartiers entiers. Il n’est plus un observateur sérieux pour miser sur un retournement de situation miracle ».
Le tableau apparait des plus sombres aux yeux de l’expert. « Un bon service de renseignement anticipe. Déchiffre, découvre, démasque et agit en conséquences. Les agences américaines n’y arrivent pas. C’est trop tard et trop compliqué. Pourtant un « homme de l’art » avait lancé l’alerte, et pas n’importe lequel: Léon Panetta, ancien chef du Pentagone, ex-patron de la CIA, ayant opéré sous les ordres d’Obama. Panetta avait préconisé le maintien d’un contingent de forces combattantes en Irak en 2011, et l’armement des « rebelles modérés » dès 2012. Ses hommes auraient su alors faire le distinguo. Mais ni Hillary Clinton, ni Obama ne l’ont alors écouté. La décision de ne pas intervenir quand il a été prouvé que la fameuse ligne rouge des armes chimiques avait été franchie (cf Paris-Match, le blog) a été comme un signal pour toutes les parties. Un coup terrible pour les rebelles modérés, et la population syrienne, le signal pour toutes les autres parties, de Bachar à son allié objectif de l’époque, (Daesh contre laquelle l’armée syrienne libre (ASL) menait une bataille sans merci, que tout était permis ». Désormais, entre les objectifs régionaux et internationaux des acteurs multiples d’un conflit qui part dans tous les sens, et autorise toutes les sauvageries, entre les contradictions internes, les oppositions sous-terraines où publiques, plus personne ne peut faire de pronostic. Même les meilleurs analystes des meilleurs services se cognent la tête contre les murs. Le pire ne peut être assurément que devant nous »
FH