Le jour où Juan Carlos sauva l’Espagne
Publié le 02/06/2014 à 20h31 | Abdication, armée, colonel Terejo, Cortes, démocratie, destin, Espagne, Felipe, Franco, Juan Carlos, putsch | Écrire un commentaire
Le Roi Juan Carlos vient aujourd’hui de rendre les armes. Il abdique au profit de son très populaire fils le Prince Felipe. Décision soudaine qui intervient dans une atmosphère fin de règne éclaboussée par des scandales, financiers, familiaux. Par l’image d’un roi dispendieux, décrit comme aussi riche que l’Espagne est pauvre, Celle d’un vieux monarque fatigué, et par trop souvent fustigé pour ses « talents » de play-boy invétéré, sa passion de la chasse à l’éléphant et autres frasques qui ont souvent fait tant les « unes » de la presse espagnole, ou des magazines « people » sans frontières.
Si c’est surtout cela que les médias « hot news » évoquant la nouvelle relaient en boucle, Juan Carlos n’en restera pas moins pourtant dans l’Histoire, comme un Souverain, désigné par Franco le terrible pour lui succéder, mais qui assura remarquablement une transition démocratique en douceur. Le pari n’était pas gagné, loin s’en faut, d’avance.
Juan Carlos. Le roi qui fit échouer une tentative de coup d’état militaire
En témoignent des images restées célèbres d’une tentative de putsch menée par une poignée de nostalgiques du franquisme. Incroyables images filmées en direct par la télévision espagnole, et passées depuis à la postérité.
23 février 1981, 18h15. Palais des Cortes. Le siège du parlement est alors bondée. 350 députés s’apprêtent à élire un Premier Ministre. Lorsque survint cette scène surréaliste.
Un homme en uniforme, surgi de nulle part, s’approche de la tribune en vociférant, l’arme au poing. Le colonel Tejero, 49 ans, chef de la Garde civile, déjà connu pour son activisme et ses idées de droite extrême, lance sous l’oeil des caméras une tentative de coup d’état. Les députés restent interdits. Le militaire leur intime l’ordre de se coucher. Ils hésitent. Pas longtemps. Le gros de la troupe suit, plus d’une centaine d’hommes qui rentrent dans l’assemblée et se mettent à tirer des rafales d’armes automatiques en l’air. Panique générale. En quelques secondes, tous les députés se retrouvent à plat ventre, dans les travées… seuls deux hommes tentent courageusement de s’interposer, l’ancien chef du gouvernement, Adolfo Suarez, rapidement maitrisé, ainsi que le vice-président, le général Mellado, que les putschistes vont molester, et menacer en pointant un pistolet sur sa tempe.
C’est le début d’une prise d’otages géantes qui va durer 17 heures. Le chef des Putschistes compte sur l’armée, pour le suivre et faire chavirer la toute jeune et fragile démocratie espagnole. Mais le roi Juan Carlos va s’ériger en rempart de cette démocratie. Il prend les commandes. Ordonne l’encerclement par les chars du palais des Cortès. A 20 heures, il décrète l’état d’urgence. et intime l’ordre aux chefs de l’armée régulière de consigner leurs hommes dans les casernes. L’Espagne toute entière retient son souffle.
Une heure du matin: Juan Carlos apparait à la télévision en grand-uniforme de chef des armées. Entre temps, il n’a cessé d’appeler au téléphone, les généraux dans tous le pays, y compris, ceux comptant parmi les partisans du putsch, réussissant à leur imposer son autorité. Un témoin se souvient l’avoir vu répéter cent fois avec une fermeté inébranlable »Je suis votre Roi, je suis votre commandant, jurez-moi fidélité! ». Et il obtenait gain de cause. Il répétait sans cesse à tous, et notamment à ceux identifiés comme putschistes. « N’oubliez jamais qui m’a nommé! C’est Franco qui m’a nommé! Allez-vous trahir sa mémoire ». L’argument faisait mouche.
Dans son allocution télévisuelle, le jeune Roi ordonne calmement et fermement à la fois à toute autorité civile et militaire de rétablir l’ordre constitutionnel. Il renouvelle, publiquement, son ordre aux chefs des armées de ne pas bouger. Un sans-faute. Mais sera t-‘il écouté? Juan Carlos sait que le combat doit se poursuivre, sans relâche. A peine l’allocution achevée, continue à contacter avec l’aide d’un de ses fidèles lieutenants, son secrétaire particulier, Sabino Fernadez Campos, les généraux, les chefs de régiments,un par un, pour s’assurer de leur loyauté. Un combat que lui seul pouvait mener. Et à lui seul, il va renverser la situation. Un calme précaire règne dans les rues espagnoles. Le vent ne tourne pas. Mais aux Cortès la situation reste figée.
quatre heure du matin: De son coté un des vrais chef du putsh, le commandant militaire de Valence le général Jaime Milan den Boesh, qui a déclaré un état d’exception et envoyé les chars dans la rue, sort de l’ombre, tente le tout pour le tout, appelle ses « compagnons d’armes » à le suivre, et à l’instauration d’une junte militaire.
5 heures du matin: C’est Juan Carlos qui a été entendu. Il gagne la partie. L’armée lui obéit. Les chars et les hommes sont restés dans les casernes. Les gouverneurs des différentes provinces ont réaffirmé leur soutien au Roi, qui incarne alors tout entier la démocratie espagnole.. Le spectre du chaos s’éloigne. Juan Carlos gagne son la partie qui s’est jouée sur le fil. C’est l’échec du Putsch.
Mais Aux Cortès, le colonel Tejero fait de la résistance. Toute la nuit, il maintient sous la menace les députés. Avant de commencer à baisser les bras. il autorise l’évacuation d’un député qui a fait une crise cardiaque. Et est emmené en ambulance qui traverse des avenues vides. Au petit matin Cette fois, ce sont des femmes députées qui sont libérées.
10 heures du matin: Les quelques 150 carabiniers comprennent que c’est fini. Pas de baroud de déshonneur. Ils sortent un à un par les fenêtres du Palais des Cortes. Laissant seul face à son destin le petit chef putschiste défait le colonel Tejero.
Midi: C’est la fin du cauchemar pour les députés. Ils sont tous libérés. Une issue pacifique. Mais bien plus que cela, l’image de ces hommes libres, c’est celle du jour ou celui qui était Roi, Juan Carlos, aura sauvé l’Espagne et préservé difficile marche de son pays vers la démocratie. Les destitutions de militaires de haut-rang qui suivront après l’épisode des Cortes montreront à quel point, l’armée, à son plus haut niveau, institution alors encore profondément franquiste de coeur, était impliquée dans ce qui était sauf un coup d’état d’opérette. Mais Juan Carlos en ces jours qui furent déterminants pour l’avenir du pays, ne fut point non plus un souverain d’opérette. De l’aveu même de nombreux militaires, c’est par fidélité au Roi, s’affichant en chef suprême et intransigeant des armées, qu’ils renoncèrent à aller jusqu’au bout.
« C’est aussi de cela qu’il faut se souvenir à l’heure de l’abdication de Juan Carlos dit un politique de l’époque, qui assista au la « démonstration du Roi ». Il nous a sauvé, il a sauvé l’armée du déshonneur, il a sauvé l’Espagne. Et il savait déjà qu’un jour son fils viendrait à lui succéder. Il a fait alors quelque chose de formidable. Durant toute cette nuit, où il a mené une féroce bataille des esprits, pour sauver son pays, il a gardé son fils à ses cotés! le Pince Felipe n’avait que 13 ans! Mais il a reçu alors en héritage la plus belle leçon de courage, et d’amour de l’Espagne, de son peuple, et du combat pour la liberté. »
Frédéric Herbert