Frédéric HELBERT, journaliste d'investigation

Notre rôle n’est pas d’être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. (Albert Londres)


Rwanda: la France dans le collimateur du président Kagame.

Publié le 08/04/2014 à 02h06 | , , , , , , , , , , , ,  | 1 commentaire

Rwanda: Kagame cartonne la France.  

Voila donc la France, à l’heure des commémorations d’un effroyable génocide, dont la communauté internationale avait été le sinistre témoin impuissant, à nouveau stigmatisée par l’homme fort du Rwanda, le président Paul Kagame, ex-chef de guerre qui déclencha avec son mouvement, le FPR (front patriotique rwandais) et l’appui de l’Ouganda, une offensive foudroyante en 1994, pour mettre fin aux massacres, et prendre le contrôle du pays.

Paul Kagame n’est pas -loin s’en faut- un premier prix de vertu politique et démocratique. Lui-même pointé par les organisations internationales des droits de l’homme, Kagame est surnommé le « khmer noir ». L’expression se suffit à elle même pour dénoncer les dérives autoritaires d’un leader à la poigne de fer. Qui n’a jamais aimé la France. Ni les noises que lui cherchent la Justice française. Kagame a la mémoire longue. Et il se souvient du soutien français, du soutien « aveugle » de Francois Mitterrand, dans les années 90, au régime du président d’avant le génocide Habyarimana. Un soutien politique, diplomatique et militaire. Un soutien de poids avec l’opération « Noroit ». « Mitterrand ne voyait les choses qu’à travers une grille diplomatique. Il voulait rappelle un de ses conseillers de l’époque, maintenir -à tout prix- un régime francophone au coeur de l’Afrique des Mille lacs. Et contrer les visées américaines qui soutenaient alors l’anglophone Kagame  Cette vision a amené le pouvoir à fournir un soutien militaire important au régime du hutu « modéré » Habyarimana ». 

Et c’est ainsi que l’armée française s’est retrouvée « en première ligne » au Rwanda avant le génocide. Un génocide qui se préparait « tranquillement » au vu et au su de tous les diplomates, soldats, observateurs des nations-Unies,  expatriés, français où autres… Les télégrammes diplomatiques signalaient la montée en puissance des extrémistes hutus, issus de l’ethnie majoritaire dans le pays, mais laissés au bord du chemin par les anciens colonisateurs, au profit des Tutsis. La radio « Mille collines », média des extrémistes hutus, qui jouera un rôle essentiel dans le génocide diffusait des messages haineux en toute liberté.

Le témoignage accablant du général Roméo Dallaire

Pendant ce temps, l’armée rwandaise (FAR) tenait face aux coups de boutoirs du FPR de Kagamé. Et ce en grande partie grace aux instructeurs, formateurs français, qui parfois mettaient la main à la patte, pour ajuster les tirs d’artillerie des FAR. Un homme qui a crié dans le désert a été le témoin privilégié du rôle militaire joué (où non) par les français. Et son témoignage ne peut être discuté. Le général Roméo Dallaire, qui dirigeait le contingent de l’ONU (MINUA) présent au Rwanda, l’a dit de la manière la plus claire qui soit, à plusieurs reprises et notamment lorsqu’il fut interrogé par une commission d’enquête parlementaire française:

« Les français encadraient les unités de l’armée rwandaise, comme la garde présidentielle (qui joua un rôle prédominent dans le déclenchement et la perpétuation du génocide) et étaient présents dans les quartiers généraux. Lors de son audition, le général Dallaire, hanté par le souvenir du génocide, et l’absence de réaction de l’ONU, malgré ses nombreux messages d’alerte ira jusqu’à dire: « la garde présidentielle, avec des français à l’intérieur, sont rentrés en action après l’attentat contre l’avion du président rwandais » . qui servit de signal au déclenchement du génocide.

Alors que les massacres se perpétraient sous les yeux de nombreux journalistes dont je fus, à l’ONU, plutôt que de lancer une opération d’interposition massive, les diplomates se sont livrées des jours durant à une bataille d’Hernani sémantique, pour savoir si l’on pouvait qualifier les massacres de masse d’hommes, de femmes, d’enfants Tutsis, à la machette, la hache, la kalach, la calebasse, alors que s’amoncelaient les cadavres partout, la France déclencha une nouvelle opération baptisée « Amarylis », destinée simplement à évacuer les ressortissants français et étrangers.Des convois sécurisés à l’extrême parcouraient ainsi des chemins jonchés de corps mutilés, pour conduire rejoindre l’aéroport, où les français côtoyaient les hommes de la garde présidentielle rwandaise qui multiplet les assassinats ciblés de responsables tutsis ou de hutus modérés. Loin de moi l’idée de jeter l’opprobre sur les soldats français dont certains étaient révoltés par ce qu’ils voyaient. Mais les ordres étaient les ordres, et les ordres étaient de ne pas intervenir pour stopper les massacres.

Sur les chemins, les « génocidaires » érigeaient ce qu’on a appelé des « barrières », check-points de fortune, qui étaient autant de pièges mortels pour les tutsis. Car outre le fait que l’on pouvait distinguer les Tutsis de part leur physique longilignes et leurs traits fins (cf Kagame), les anciens colonisateurs (France, mais surtout Belgique) avaient mis en place un système terrifiant pour assoir la suprématie raciale d’une ethnie sur l’autre. L’appartenance aux ethnies Tutsi où Hutu étaient indiquées sur les cartes d’identité. Pour ceux qui étaient pourchassés sans répit, c’était un piège mortel.

A ce stade là de notre enquête, l’on peut dire de fait, que la France, terre dite des droits de l’homme a avant  le génocide soutenu sans faille militairement et politiquement ceux qui ont organisé patiemment, minutieusement, sans être inquiété d’aucune façon, un massacre à l’échelle industrielle de plusieurs centaines de milliers de personnes. Et rien n’a changé lorsque le génocide a débuté. Les français avaient toujours leurs quartiers au camp de Kanombe, à deux pas de l’aéroport et de la présidence, camp de Kanombe qui était la base de s troupes d’élites longtemps entrainées par un contingent français, et même fourni clandestinement en armes sophistiquées comme des missiles, en contravention avec un embargo onusien.

L’opération « Turquoise » et ses limites 

Puis vint le temps de la réaction, mais une réaction sur laquelle il est beaucoup à dire. Le gouvernement français de l’époque, (gouvernement de cohabitation, dirigé par Edouard Balladur) décide, alors que les génocidaires ont déjà tué en un minimum de temps, des centaines de milliers de personnes, d’organiser une opération dite d’interposition. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères n’a pas ménagé sa peine pour qu’enfin la France, à défauts d’autre pays occidentaux interviennent. C’est le temps de l’opération « Turquoise ».  Lancée avec l’aval de l’ONU. Il est d’abord question d’une opération prévoyant  que « soit mis fin aux massacres, partout où cela est possible, éventuellement en utilisant la force ». Mais très vite, les bémols tombent: Edouard Balladur fait savoir au président Mitterrand qu’il faudra pour que l’opération réussisse, qu’elle soit limitée à -je cite- des actions humanitaires, en évitant que la France se « laisse aller » à ce qui serait considéré comme une opération coloniale au coeur du territoire du Rwanda. « Aucune différence ne fut faite se souvient un diplomate entre les différentes parties, entre les génocidaires et leurs victimes. Une incroyable consigne de « neutralité » fut donnée au général Lafourcade, chargé de mener cette opération pendant une durée limitée de deux mois! La neutralité, cela signifiait de fait une autorisation implicite accordée aux tueurs à poursuivre leur oeuvre de mort ».

Près de 3000 militaires dont plus de 2500 français, et quelques centaines de soldats africains constituèrent une force qui n’avait pas pour mission d’arrêter les génocidaires, mais de tenter de constituer une zone sécurisée, pour les tutsis, les victimes traquées de l’intérieur.

« Bien sur des vies furent sauvées, mais l’opération a dérivé parfois et eu des conséquences désastreuses pour les « pourchassés » se souvient un militaire. Certains d’entre nous avaient la rage au coeur. Mais encore une fois les ordres étaient les ordres. Ce fut terrible pour nous. Nous avons été pecus parfois comme des « salops », ales que nous étions prêts à aller au carton pour frapper les FAR et les milices au coeur. Mais dans une armée, il y a un état-major, et les relations de longue date ente les FAR, la garde présidentielle et les hommes de l’état-major qui de leurs instructeurs étaient devenue leurs alliés , leur amis parfois ont pesé lourd »

L’épisode tragique de Bisesero

Dans ses attaques répétées, le président Kagame a évoqué à plusieurs reprises l’épisode terrible de Bisesero. Les événements qui s’y sont déroulés sont symptomatiques de possibles dysfonctionnements,  manquements de l’armées française lors de l’opération Turquoise. Mais l’épisode ‘a cessé de secouer une polémique incessante due à des versions divergentes et antagonistes. En 1994, Bisesero, situé à l’Ouest du Rwanda, a été un lieu de résistance et de refuges pours des dizaines de milliers de tutsis. Sur la principale colline de Bisesero a été érigée un mémorial à la mémoire de plus de 60 000 tutsis assassinés par les FAR et les miliciens « Interahawe » (la principale milice crée du temps du président tué lors de l’attentat visant son avion).  Ce que certains reprochent à l’armée française, c’est son retard dans l’intervention, qui aurait couté des milliers de vie, avant que les survivants ne soient effectivement sauvés par l’armée française.

La polémique n’a jamais été éteinte. Ce que l’on sait c’est qu’un détachement avancé du COS (Commandement des opérations spéciales) a découvert le 27 juillet 1994, la colline susceptible d’être le théâtre d’un massacre de grande échelle. Les forces françaises n’y sont revenus que trois jours plus tard, pour recueillir une poignée de survivants. Pourquoi ce retard? Est-il volontaire? Le détachement qui a prévenu ses supérieurs a t-il été entendu? Y-a t-il eu « faute » caractérisée de l’armée quant à son temps de réaction. Militaires, journalistes, enquêteurs et survivants se sont déchirés et continuent à le faire quant à la vérité des faits. On retiendra parmi ces témoignages celui d’un homme dont il a déjà été question sur le blog, le sergent Thierry Prungnaud, gendarme, membre du GIGN, héros de l’assault lancé contre l’airbus pris en otages par des islamistes du GIA, déclara publiquement dans les médias en avril 2005 qu’il avait désobéi aux ordres, pour porter secours aux naufragés de Bissero.

Par delà cet épisode particulier, en analysant la masse des documents, des témoignages, en regardant des faits précis quant au soutien de la France, en écoutant le général Roméo Dallaire, qui eut des relations exécrables avec l’état-major de Turquoise, il reste encore beaucoup de questions, de faits à élucider, de responsabilités à déterminer. Mais les accusations de Paul Kagame ne sont pas dénués d’arrière pensées politiques. A l’heure où une enquête judiciaire, entamée à bas bruit par le juge Bruguière, puis reprise avec rigueur implacable par son successeur Marc Trévidic, est toujours en cours et tente d’éclaircir de nombreuses zones d’ombres sur les conditions de l’attentat qui frappa l’avion de Juvenal Habyarimana (piloté par un équipage français). Attentat dont on sait qu’il fut le déclencheur du génocide, et que les missiles furent tirés à partir d’une zone ou étaient cantonnés les soldats français. L’enquête n’a toujours pas déterminé qui étaient exactement les tireurs des missiles SA 16 dont l’un a pulvérisé l’avion. Pas plus qu’elle n’a résolu une terrible question: Paul Kagame était-t-il au courant de la planification de cette opération, dont il aurait su ce qu’elle déclencherait, lui permettant alors de lancer son offensive générale qui a fini par porter l’ancien chef de guerre à la tête du Rwanda?…

(Cette enquête et ses rebondissements feront l’objets d’une prochaine publication).

Frédéric Helbert  

 


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À propos de l'auteur

Grand-reporter de guerre, (souvent), journaliste d'investigation, multi-médias, tous terrains, membre de l'association de la presse judiciaire, passionné par les phénomènes terroristes depuis le début de ma carrière à Europe11. Tropisme assumé pour le Moyen-Orient et la péninsule arabe-musulmane. Jamais rassasié d'infos,  accro à tous types d'enquêtes et reportages, j'aime explorer le dessous des cartes de dossiers sensibles. En toute liberté. Vos témoignages, vos infos, vos commentaires sont  bienvenus!

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