4 journalistes français otages en Syrie. la bourde de JM Ayrault. Enquête, révélations
Publié le 09/10/2013 à 23h33 | ALS, Ayrault, DGSE, Didier François, Edouard Elias, Europe1, groupes gangsters, journalistes, Liban, Nicolas Henin, otages, Pierre Torrès, syrie | 1 commentaire
Quatre Journalistes français otages en Syrie.
La « plantade » de jean-Marc Ayrault
C’est à une scène surréaliste, presque ubuesque que l’on a assisté ce matin, dans les studios d’Europe1, que j’ai si souvent fréquenté comme reporter: A la fin de la longue interview accordée par le premier ministre Jean-Marc Ayrault, le présentateur de la matinale d' »Europe », Thomas Sotto pose une question sur le sort de Didier François et Edouard Elias, enlevés depuis 126 jours rappelle t-il. Quelles sont les dernières nouvelles, que peut-on dire demande le journaliste? Et là surprise, s’emmêlant pinceaux et crayons, le nez dans le guidon, le premier Ministre évoque pour ces journalistes, -sic- « que vous connaissez bien et que nous aimons tous » Nicolas Henin et Pierre Torrès, précise t-il sans ciller, l’existence de preuves de vies! Stupéfaction dans le studio. Jean-Marc Ayrault poursuit comme si de rien n’était ajoutant que des preuves de vie, il y en avait pour « tous » les autres otages français, sans donner de noms, sans mentionner davantage ceux de Didier François et d’Edouard Elias, et achève de manière classique en assurant que tout était fait par le gouvernement et les services français pour libérer les uns et les autres, mais qu’il ne pouvait en dire plus pour des raisons de sécurité.
Ainsi donc interrogé sur le sort des journalistes d’Europe1, le premier ministre a révélé -sans le vouloir?-, un secret connu uniquement par certains dans le microcosme journalistique: L’enlèvement de Nicolas Henin et Pierre Torrès en Syrie, l’été dernier, le 22 juin, dans la ville de Raqqa, sous contrôle islamiste aujourd’hui mais ou ont sévi toutes sortes de bandes armées. Les deux journalistes étaient notamment missions par l’hebdomadaire le Point, et ARTE
Pourquoi le fait a t-il été gardé secret depuis plus de 3mois? Les familles, sous l’impulsion de celle de Nicolas Henin avaient demandé une discrétion totale, observée de fait par tous. C’était le voeu du journaliste qui avait évoqué cette « possibilité » avec les siens avant de partir. Et avait demandé, en cas de « malheur », que le silence soit de rigueur.
De l’utilité du silence en pareil cas
Nicolas Henin n’avait pas choisi cette possible option au hasard. Journaliste confirmé, ayant travaillé pour plusieurs grands médias, comme France-info, « vétéran » notamment de la guerre d’Irak, connaisseur du terrain syrien, le journaliste savait que le silence, la discrétion peuvent souvent permettre de résoudre rapidement des affaires de kidnapping, par des groupes armés uniquement intéressés par l’appât du gain. Nombreux ont été les exemples en Irak, mais aussi bien plus récemment en Syrie, où la prise de journalistes en otages est désormais un solide business, où leurs rédactions n’ont rien révélé, parvenant à négocier rapidement et secrètement la libération de ceux capturés par des groupes armés uniquement attirés par l’argent. Il est ainsi des journalistes notamment anglo-saxons (NBC, BBC..) dont personne ne sait qu’ils ont été enlevés puis libérés après négociations discrètes, express, et en échange d’une rançon. Mais la guerre en Syrie n’ayant jamais cessé de faire rage, et les groupes armés incontrôlés de proliférer. Si les kidnappings ne se déroulent pas près des frontières libanaises ou turques, si les preneurs d’otages « s’embrouillent » entre eux sur le montant d’une rançon, si les otages sont revendus où détenus par des groupes politisés où proches de l’islamisme radical, il devient alors très difficile d’aller vite, voire impossible et de résoudre rapidement une crise de ce type par la négociation.
Et quand les prises d’otages sont portées à la connaissance du public, la donne change. Le pouvoir politique s’en mêle, les services spéciaux sont mobilisés. L’affaire se complique encore davantage lorsque il s’agit de pays qui refusent, officiellement en tous les cas, de payer une rançon. La doctrine en France sur le sujet, a pris un tournant radical avec l’arrivée de François Hollande, qui s’alignant officiellement sur la ligne étatique anglo-saxonne, a décidé , affirmé en tous les cas que l’on ne payerait plus. Mais il n’est rien là qui ait découragé les preneurs d’otages. Ni en Syrie, ni ailleurs.
Jean-Marc Ayraut a t-il commis une faute?
En termes de « com », la bourde est indéniable, quoiqu’en dise le cabinet du premier ministre. La bande son d’Europe1 en témoigne: Jean-Marc Ayrault, parle à Thomas Sotto et Jean-Pierre Elkabach de ces « journalistes que vous connaissez si bien » en citant ceux qui n’ont jamais travaillé pour la station... et en oubliant les noms de Didier François et Edouard Elias! Une confusion surprenante à ce niveau, et qui a laissé pantois tout le monde. A commencer par les proches de Nicholas Hénin et de Pierre Torrès. Qui avaient prévu de briser le mur du silence mais à leur manière, quelques jours plus tard, lors de la soirée de remise des prix du Prix Bayeux des correspondants de guerre. En ayant prévenu les autorités. Les familles voulaient garder la maitrise de cette communication, « faire les choses à leur manière » et si le père de Nicholas Hénin, magnifique de dignité, n’a pas fait mention de ce « couac » au plus haut-niveau, d’autres proches des nouveaux otages français sont en colère, où heurtés. L’ annonce leur revenait. A eux qui ont si longtemps gardé le secret, dans l’espoir d’un règlement rapide et heureux. Ils avaient prévenu le Quai d’Orsay, et décidé de faire le jour sur cette prise d’otages au moment qu’ils avaient choisi, dans un contexte qu’ils avaient choisi. « Et ce d’autant qu’en dehors de preuves de vies datant du mois d’aout,dit un confrère proche de Nicholas Hénin, on a l’impression que les autorités françaises pataugent complètement. Heureusement dit-il que ce la bourde ministérielle ne change rien sur le fond puisque la décision de rompre le silence était prise, en désespoir de cause ».
« La Syrie, c’est le « bordel » complet. Pour localiser un otage, identifier ces ravisseurs, établir un contact fiable, tenter une négo, c’est juste l’enfer » dit un négociateur libanais
Les familles savent bien que la Syrie n’est pas l’Irak, ni l’Afghanistan.. En Irak, la France disposait d’une ambassade, d’un point d’appui, de relais, pour les hommes des services français. C’est à cette ambassade alors dirigée par l’actuel patron des services secrets, Bernard Bajolet avait reçu par exemple le soutien appuyé du grand leader spirituel de la rébellion en Irak, le sheik Soumaidaï qui était allé jusqu’à lancer une « fatwa » contre la prise de journalistes français en otages. L’ambassade servait d’état-major de crise. Les hommes de la DGSE s’y étaient installés. Analystes ou membres du service Action. « On pouvait aller au contact, recueillir des tuyaux, et bouger, certes dans un environnement hostile et dangereux, mais c’était jouable. Puisqu’on est même aller « récupérer » nous mêmes nos otages » rappelle l’un d’eux ayant participé aux libérations de Georges Malbrunot, Christian Chesnot, puis de Florence Aubenas. En Afghanistan, même topo, avec qui plus est la présence des forces françaises, de leur logistique, de leurs contacts, forces françaises qui furent utilisées pour resserrer l’étau autour de la zone où furent localisés Hervé Guesquières, Stéphanne Taponnier, et leurs ravisseurs.
En Syrie, rien de tout cela. Plus d’ambassade. pas de point de chute, une guerre permanente, le chaos, impossibilité de mener une opération avec des effectifs français, le danger qui peut surgir partout, à n’importe quel moment. et « le bordel généralisé! Une opposition armée à Bachar el-Assad, totalement fragmentée. Des centaines de groupes, dont certains ont versé purement et simplement dans des activités « mafieuses, des passeurs douteux qui n’hésitent pas à vous promettre la sécurité pour vous vendre le lendemain à un groupe armé, sans compter la paranoïa générale. Ou le journaliste peut souvent d’un coté comme de l’autre être perçu comme un espion. C’est la jungle » dit un négociateur libanais qui sait entretenir des contacts avec toutes les factions.
De la nécessité d’être bien accompagné et entouré…
« Cette situation dont nous avons honte me disait en juin dernier un haut-gradé de l’ASL (l’armée syrienne libre) sur le sol syrien, (quelques jours après l’enlèvement de Didier François et Edouard Elias et quelques jours avant celui de mes deux autres confrères) , c’est vous les occidentaux qui l’avez crée, en laissant le conflit se « putréfier ». Vous nous avez abandonnés après de belles promesses. L’afflux massif des hommes d’al Qaida venus d’Irak ou d’ailleurs, la multiplication de groupes incontrôlés qui ont versé dans des activités purement mafieuses, c’est votre responsabilité! Si vous nous aviez donné dès le début les armes et les moyens de nous imposer, d’asseoir notre puissance et de faire la police dans nos rangs, nous n’en serions pas là! Vous non plus! Vous les français, vous êtes en première ligne au rayon du ressentiment. Nous attendions tellement de vous. Vous avez été les champions des promesses, et des menaces contre le régime, mais rien ou si peu est venu derrière ».
C’est pourtant ce haut-gradé et ses hommes qui ont assuré ma sécurité et celle du Docteur Ghazi Aswad, le chirurgien franco-syrien à qui l’on doit la révélation de l’utilisation des armes chimiques (cf. Paris-Match et blog) qui m’accompagnait en Syrie, à l’heure, ou mes confrères étaient enlevés. Sécurité de jour comme de nuit. A plusieurs reprises, ils ont fait montre de courage et de sang-froid, n’hésitant pas à dresser la kalash, prêts à tirer, lorsque des bandes composées plus de « voyous » que de « vrais « rebelles, ont tenté de nous « mettre la main dessus ». Au prétexte facile que j’étais un « espion ». La rumeur de « deux français » arrivés en zone rebelle par le Liban avaient attisé des convoitises qui nous ont fait finir par passer deux jours dans une « safe-house », gardés en permanence, sans pouvoir travailler, en attendant le meilleur moment pour nous ramener vers le Liban à travers un labyrinthe de routes défoncées. Sous protection efficace et discrète. Avant ce retour « obligé », trouvant cette tutelle lourde et très handicapante pour mon travail, je n’ai cessé de multiplier les demandes et d’essuyer des refus. Au nom de la sécurité. Où de l’insécurité. Il s’est souvent trouvé sur notre route des bandes armées aux intentions peu louables à notre égard. Après un incident virulent, sout Un officier de l’ALS m’a lâché que du Liban, ou de quelque part sur la route, l’information de notre arrivée sur le sol syrien avait été révélée à « certains » ouvrant des appétits.
Les prises d’otages font partie des risques du métier. L Liban, Afghanistan, Proche-orient, Afrique sub-saharienne, ces risques-làs ont partout. Mais en Syrie aujourd’hui, il n’est pas d’alternative: Il faut pouvoir compter sur un réseau où un groupe solide, pour s’aventurer en sur ce terrain de guerre, pour faire la route, pour aller à la rencontre des uns où des autres sans devenir à chaque coin de rue, une « proie » possible. L’organisation de ma dernière mission a duré 3 semaines avant le « top » départ de Beyrouth puis Tripoli. Et même si tous les paramètres ne sont pas maitrisables, nous avons fait le max: Changements de véhicules, d’itinéraires, d’horaires à la dernière minute, jonction rapide avec un dispositif « light » après le passage clandestin de la frontière: une voiture., 3 hommes d’une Katiba « Al Farouk », volontaires pour nous protéger sans contre-partie des hommes de bien,, qui ont traversé quelques villages à vive allure, me demandant de ne pas prendre de photos, indiquant qu’ils étaient les repaires de bandes de maffieux, hors-contrôle, à l’affut.
Et même en étant protégés à minima, on est jamais à la merci d’une mauvaise rencontre comme celles faites par Didier François, Edouard Elias, puis Nicholas Hénin et Pierre Torrès, comme par d’autres journalistes étrangers, « officiellement otages », ou portés disparus. Travailler dans ces conditions en Syrie n’est pas la panacée, mais le poids et les dangers « classiques » de la guerre étant déjà lourds, la perpétuelle épée de Damoclès de la prise d’otages impose de pouvoir compter sur des hommes solides, en qui avoir toute confiance, au moins à certains moments d’un reportage. Dans ces conditions, il me parait possible de pouvoir faire le « job » et indispensable de continuer à le faire, où que l’on aille. L’été dernier, après l’attaque de la ghouta à l’arme chimique dans les faubourgs de Damas j’ai voulu retourner sur le terrain, sur de mon réseau et d’un degré de sécurité garanti tant que faire se pouvait, quant à la menace d’une nouvelle prise d’otages possible. Mais aucun média, malgré mon indépendance, n’a voulu endosser la responsabilité d’un envoi dans une Syrie chaotique. D’autres journalistes sont désormais cantonnés à Beyrouth, pour y suivre de loin le conflit. A moins d’obtenir une autorisation du gouvernement syrien, pour aller couvrir les événements vus du coté du régime. Ce que je souhaiterais faire aussi, mais les visas délivrés par Damas sont distribués au compte-gouttes, et à priori interdits à ceux qui ont exercé leur métier coté rebelle. Coté où les preneurs d’otages, quels qu’ils soient, empêchent directement ou indirectement de « couvrir » la guerre. La révélation de la détention de Nicolas Henin et Pierre Tourrès, ne risque pas de rendre plus sereins les « décideurs » au sein des rédactions françaises. Mais il n’est rien là qui puisse entamer la détermination de certains de retourner en Syrie, où nous nous devons d’être, d’un coté comme de l’autre.
Info fraiche et fiable: Didier François, et Edouard Elias sont vivants.
Reste le cas des otages à sortir du bourbier. Ce qui passe par l’obtention d’infos « béton » quant à leur sort. Sur la façade d’Europe1, les portraits des deux journalistes envoyés par la station en Syrie ont été affichés. Eux avaient choisi la route du nord en passant par la Turquie. Ils ont été enlevés sur le chemin d’Alep. A un barrage où un faux-barrage, Mais pas un barrage de l’armée syrienne comme on a pu le penser dans un premier temps. Ils avaient joué la carte de la discrétion. Sans protection. Ils ont été sans doute « vendus » par un de ceux à qui ils avaient fait confiance. Personne ne pouvait les défendre au moment de leur rapt.
Répondant à l’interview menée par Jean-Pierre Elkabach et Thomas Sotto, on sait maintenant que Jean-Marc Ayrault, se prenant étrangement les pieds dans le tapis, a révélé la détention de Nicolas Henin et Pierre Torres,et parlé de preuves de vie les concernant, en ne mentionnant pas les journalistes d’Europe1. Surréaliste. D’autant que les preuves de vie dont a parlé JM Ayaraut datent de l’été dernier pour les otages détenus en Syrie selon une source proche du dossier. Sans rentrer dans les détails de l’enquête sur le sort de ces deux journalistes, les contacts, établis, les négociations éventuelles, où la discrétion de rigueur masque une impuissance de fait en l’état. Selon des sources non gouvernementales, mais implantées sur le terrain syrien, sources fiables et formelles disposant de relais au Liban, le seul élément -mais essentiel- que je peux livrer et qui m’est parvenu lundi est le suivant: Didier François et Edouard Elias sont toujours vivants.
Frédéric Helbert