Frédéric HELBERT, journaliste d'investigation

Notre rôle n’est pas d’être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. (Albert Londres)


Tragédie des migrants: Le temps de l’émotion, et puis?

Publié le 05/10/2013 à 17h35 | , , , , , , , , , , , ,  | 1 commentaire

Lampedusa, Kos,  : Le visage de la sempiternelle tragédie de l’exil clandestin des naufragés de la vie. Tragédie(s) à répétition, sans aucun remède. 

Reportage.

Des rues vides, des fleurs ici et là,  rideaux tirés, mines sombres, des larmes, des cris de colère, des marins racontant l’horreur vue, et comment ils se sont mobilisés pour sauver des naufragés, et puis le silence face aux cercueils alignés… Les côtes grecques, italiennes; espagnoles  pleurent. C’est l’heure du recueil et de l’émotion.  Les images provoquent la révolte. Mais pour combien de temps?  Et ce cérémonial de la tristesse serait-il là, si les tragédies à répétition n’avaient connu telle ampleur? Si les bateaux atteignaient tous les côtes avec leurs « cargaisons » de réfugiés dont l’Europe ne veut pas? Cela fait des années que cela dure, des années. L’Italie et l’Espagne, la Gèce aujourd’hui sont dans l’esprit de ceux qui risquent tout, venant du continent africain, des pays en guerre ou de misères, de Syrie, de Libye, de Somalie, la première étape vers « l’Eldorado » européen, une vie qui sera quoiqu’il arrive pensent-ils meilleure. Et s’ils doivent mourir en chemin, le destin en aura décidé ainsi. Alors, depuis des années, « les rafiots de l’exil »  alimentent la chronique de l’actualité, et au passage les poches de trafiquants, , des passeurs qui entassent les populations de malheur sur des bateaux d’un autre âge, confrontés à la violence si souvent mortelle des océans. Quand ce n’est pas celle des mafieux qui sabotent les embarcations  de l’exil, où les abandonnent en pleine mer.

« Aujourd’hui, nous pleurons, nous crions, nous avons fait tout ce que nous avons pu, mais que se serait-il passé pour tous ceux qui ont péri s’ils avaient accosté? demande un habitant d’une petite ile grecque . Voulez-vous visiter les centres d’accueils ignobles qui où ils sont cantonnés, entassés comme du bétail lorsque ces « damnés de la mer » arrivent vivantsSavez-vous que nous sommes confrontés à des drames de ce type sans arrêt, depuis des années et des années? Et que la population de Lampedusa n’en peut plus d’être associée à cette image et de crouler sous les arrivées de migrants qui ne sont pas en règle générale les bienvenus pour la majorité de la population ».

Une population qui n’en finit pas de réclamer des mesures « adéquates » auprès des autorités locales, nationales, sans jamais rien obtenir de véritablement concret.

Flash-back: 2006.  Juste avant la guerre du Liban, cap sur l’Afrique. Un reportage pour Europe1, près de Dakar (point de départ), à la rencontre des candidats à l’exode. Puis en Espagne (point d’arrivée), dans des cités touristique des Canaries, confrontée à ces arrivés permanentes d’embarcations de misère, croulant sous le poids de migrants de tous âges. et de tous pays ravagés par la guerre, la misère et l’absence d’avenir …  C’est déjà un drame type « Lampedusa » qui m’avait amené à me pencher sur l’éternelle spirale. Et une photo qui montrait un touriste prenant tranquillement son bain de soleil, sur une plage à une cinquantaine de mètres d’un cadavre de migrant africain à peine recouvert… D’autres clichés tel celui-ci,  illustrent l’indifférence du monde fustigée par le Pape François.

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Au Sénégal, dans un petit village de pécheurs, je me retrouve très vite face à ceux qui capables de tout pour échapper à leur quotidien sans avenir. « Plutôt la mort que rester » dit fataliste jeune homme d’une vingtaine d’années à peine, qui a déjà traversé, failli mourir, savait le péril que cela représentait,  avait échoué, (arrestation/expulsion à l’arrivée) et n’attend qu’une chose: recueillir suffisamment d’argent pour repartir. « Ici ajoute t-il d’une voix fatiguée, il n’y a rien pour nous. Rien que des murs contre lesquels se casser la tête. La pêche artisanale ne permet pas de nourrir nos familles. Nous n’avons pas d’autres solutions, d’autres choix ». Partout la même question: Est-ce vie que de passer sa journée dans des baraques, ou dans la rue, à ne rien faire, sans avoir aucun espoir de s’en sortir?  Les risques? les candidats à l’exil s’en moquent. Tous évoquent cette idée que leur vie ne vaut rien. Que seul l’exode leur permettrait de s’en sortir. Que revenir « au pays », sans avoir réussi à passer à l’étranger et à y gagner de l’argent, est vécu comme une « honte » .

L’homme me montre des vraies maisons, qui se dressent ici où là, plus hautes que les autres, celles de que des salaires de des migrants ayant survécu aux traversées de la mort, et trouvé des petits jobs en Occident ont fait construire. Salaires de misère en Europe, fortunes au pays. Ailleurs, des mères, des grand-mères, n’en finissent pas, souvent une vieille photo en main, de pleurer leurs enfants, leurs maris, leurs pères, leurs frères partis et jamais revenus, disparus au fond de l’océan. Certaines ont crée une petite association pour tenter de relancer la pèche locale, de faire du tissage, et empêcher les leurs de risquer leur vie, allant jusqu’à prévenir la gendarmerie lorsque la rumeur d’un départ de nuit courre. « L’Etat ne fait rien pour nous, on le sait, Il accapare les richesses locales. L’Europe et le Monde devraient nous aider, et il nous faudrait peu, pour que l’économie locale offre des emplois » tempête l’une  d’elles. Combien de multinationales exploitent les richesses de nos pays, sans qu’il n’y ait de retour pour nous, les pauvres gens? » Mais l’appel de ces femmes qui refusent la fatalité ne reçoit que peu d’écho en Occident. L’exil clandestin est un casse tête, et une  sinistre mine d’or exploitée par les partis d’extrêmes droites. les gouvernements appellent de temps à autres à aider le développement local pour éviter l’exil comme seule issue, trop souvent fatale. Dans ce village depuis, en vain, se sont succédés des responsables politiques, de toutes nationalités, venues promettre des aides jamais arrivées… Le seul véritable effort mis en place jusque-là, porte sur la mise en place de mesures tentant de limiter l’exil, de l’empêcher.

Quelques jours plus tard, je me retrouve dans une petite cité balnéaire tranquille d’Espagne confrontée  au phénomène. Etrange vision que deux mondes se croisant sur une plage. Au bout de la principale baie touristique de l’ile, un petit port, où sont ramenés les migrants, ou accostent leur rafiots misérables sous bonne garde.. Intolérable vision pour certains. Curiosité « locale » à photographier pour d’autres. Mais  l’indifférence est plutôt la règle générale.  Peu auparavant, une image terrible avait fait scandale. On y voyait un touriste prenant son bain de soleil tranquillement sur la plage. A une cinquantaine de mètres de là, gisait sur le sable, à peine recouvert, le corps sans vie d’un africain...

Dans les rues de la cité, peu d’espagnols acceptant de parler de cette situation. Mais ceux qui  témoignent, essentiellement des commerçants, ne font preuve , pour  majorité, que de peu compassion. Pour eux, l’afflux régulier de clandestins est une entrave au tourisme, et une attaque contre l’économie locale… D’autres dénoncent cette position « égoïste », tout en la comprenant. Les africains ayant eux réussi à échapper à un retour forcé que j’avais rencontré se disent mal vus, victimes d’un racisme latent, accusés de prendre le « pain des espagnols ». Certains se cachentt en attendant de tenter de rejoindre Barcelone. D’autres rasent les murs – ou fleurissaient des slogans « anti-réfugiés ». Les autorités locales me refusent l’accès aux camps cernés de barbelés ou survivent les maudits de la terre et de la mer, dans l’attente d’un sort incertain. « Nous ne pouvons offrir un avenir décent à ces naufragés de l’espoir insiste  un élu. Nous avons nos propres difficultés ».

Depuis la situation a empiré partout. De chaque coté. L’Italie et l’Espagne, premières terres « d’accueils » des migrants ont été emportés par une crise économique mondiale encore plus sévère. L’Afrique et le Moyen-Orient sont ravagées par la pauvreté, la misère, et des guerres de plus en plus féroces, les printemps arabes ont dégénéré en conflits ouverts. Autant de paramètres,  qui  conduisent de plus en plus de populations à « tenter leur chance ».  Plus rien ne peut les  arrêter. Pas même les dispositifs où matériaux de surveillance des côtes sensibles, « offerts » les marines occidentales, pour tenter de juguler, sans grand succès, la vague des départs. Car là est l’essentiel de l’effort fourni jusque-là par les nations occidentales. Des Bateaux de surveillance, des équipements de vision nocturne, des stocks de menottes en plastique…

Alors, l’impasse est totale. Aucune parade n’a été trouvée. La demande de réunion d’urgence au sein de l’Union européenne par la France (JM. Ayrrault)  laissent sceptiques les principaux concernés.  La visite de José Manuel Baroso a Lampedusa a été sifflée copieusement. Seule certitude: Il y aura d’autres drames, d’autres tragédies. D’autres « jours de pleurs » ainsi que l’a dit le Pape François, dont la condamnation de l’horreur, »la honte« , de Lampedusa est cri sincère, qui trouve un écho, le temps de l’indignation. « Mais le souverain Pontife  n’en est pas dupe »  précise un cardinal français  « Passé le temps de l’éclairage médiatique, l’indifférence » fustigée par le Pape, sera de nouveau  bientôt de retour ».

Et l’Océan n’a pas fini d’être un terrible cimetière marin pour ceux qui cherchent à tout prix la « terre promise ».

Frédéric HELBERT


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À propos de l'auteur

Grand-reporter de guerre, (souvent), journaliste d'investigation, multi-médias, tous terrains, membre de l'association de la presse judiciaire, passionné par les phénomènes terroristes depuis le début de ma carrière à Europe11. Tropisme assumé pour le Moyen-Orient et la péninsule arabe-musulmane. Jamais rassasié d'infos,  accro à tous types d'enquêtes et reportages, j'aime explorer le dessous des cartes de dossiers sensibles. En toute liberté. Vos témoignages, vos infos, vos commentaires sont  bienvenus!

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