Syrie: enquête sur les mystères et les effets de la « vidéo cannibale » …
Publié le 16/05/2013 à 07h56 | Bachar el assad, cannibalisme, crimes de guerre, Liban, ONU, propagande, rébellion, syrie, USA, Vidéo choc, Youtube | 4 commentaires
1- Que montre réellement la Vidéo?
Apparue sur « You Tube » ces derniers jours, la vidéo montre un commandant rebelle qui profane sauvagement le cadavre d’un soldat syrien, devant ces hommes. Une vidéo type de propagande pure. Mais ou toutes les limites sont dépassées dans le cadre d’une macabre mise en scène. Tout en découpant au couteau et arrachant non le coeur comme il est dit partout, (mais un poumon) du soldat mort, avant que de le porter à ses lèvres et de faire mine d’en croquer un morceau (la vidéo de 27 secondes s’arrête là), le chef rebelle s’adresse à la caméra en se lançant dans une diatribe choc:
« Nous jurons devant Dieu, que nous mangerons vos corps et vos foies, vous soldats de Bachar le chien! Dieu est grand. Oh héros de Baba Amr massacrez les Alaouites et découpez leurs coeurs pour les manger! ».
2- Est ce une première?
Oui et non! D’abord une autre vidéo du même type avec ce même chef de guerre de la brigade « Omar Al Farouk » existe. On y voit l’homme demandant à ses hommes de massacrer les soldats de Bachar, de leur arracher le coeur et de les manger mais celle-là n’a pas été diffusée… Par ailleurs des vidéos de profanation de cadavres, (à coups de pieds, de poings, de poignard accompagnées d’insultes) existent. Elles ont été diffusées sur ce site… Mais ces vidéos là ont été « tournées » par des shabihas et des soldats de l’armée de Bachar, qui profanaient les cadavres de libanais sunnites étant tombé dans une embuscade alors qu’ils venaient de passer la frontière libano-syrienne pour tenter de rejoindre les rangs de la rébellion. Ces vidéos illustraient déjà le degré de sauvagerie dont certains sont capables dans une guerre, et l’ultra-violence d’un conflit ayant pris une dangereuse dimension confessionnel, et sectaire, opposant les alaouites (branche minoritaire issue du courant chiite, à laquelle appartient le clan Assad) et les sunnites, majoritaires en Syrie. Reste que cette vidéo est inédite en plusieurs aspects: D’abord tant elle heurte par la diffusion d’une scène réelle d’éviscération d’un soldat mort, par un chef rebelle haranguant ses troupes sunnites à en faire une pratique « courante ». Second point générateur de réactions indignées de toute part. Si des milliers de vidéos ont été diffusées depuis le début de l’insurrection devenue une guerre civile sans aucune pitié, nombre d’entre elles montrant d’authentiques crimes de guerres, exécutions sommaires ou autres faits barbares, mais présentées par les rebelles comme des opérations militaires « justifiées ». Néanmoins il était jusque là impossible de savoir qui exactement était derrière la caméra, qui filmait, qui tuait. Les plans des vidéos étaient les plus souvent ceux des victimes. Et les vidéos apparaissaient comme des « tournages » à la va vite de « faits de guerre ». Cette fois, le chef de militaire, sinistrement réputé pour être capable de tout, est identifiable. Il s’agit de Khaled al Hamad, originaire d’Homs, et qui s’était déjà présenté à visage découvert dans plusieurs autres vidéos. Il prend tout son temps. la scène est tournée à l’écart d’une zone de combat. Le chef agit et commente, ses hommes (invisibles) approuvent par des « Allah Akbar ». C’est cette mise en scène « soignée » et cette personnalisation qui confère à cette vidéo une « valeur » toute particulière. Et qui ont provoquée une onde de choc. Parfaitement contre-productive pour la cause des insurgés syriens.
3- Quand la vidéo a t-elle été tournée? Par qui a t-elle été diffusée?
C’est là ou les choses se compliquent. La vidéo a été mise en ligne, et reprise par des groupes pro-Assad! Qui ont compris toute le gain qu’ils pouvaient tirer d’une telle diffusion… Et notamment par le site « Syrian truth », (la vérité syrienne), où l’on retrouve sur la page Facebook de ce site quantité de photos, vidéos à la gloire du régime, de son armée, et de sont chef suprême… Comment ont-ils récupéré la vidéo? Mystère… Encore plus nébuleux, ce sont des journalistes de Time magazine qui auraient les premiers reçus cette vidéo-choc le mois dernier! Elle leur aurait été transmise par un combattant rebelle venu de Syrie. Question? Qu’a fait alors » Time magazine »? Le journal a enquêté sur la vidéo pour l’authentifier et identifier le chef rebelle. Mais ne l’a pas diffusé… Comment alors a t-elle « traversée » la ligne de front entre les deux camps pour se retrouver sur un site pro-Bachar avant de faire le « buzz » sur la toile? Mystère…
4- L’exploitation post-production de Time Magazine…
Le célèbre journal US, a diffusé hier une autre vidéo, ou l’on voit Khaled al Hamad, joint via Skype, justifier son acte, l’assumer, et se vanter de posséder d’autres vidéos de ce type. Rien là encore qui ne serve la cause des insurgés, bien au contraire, mais de l’eau au moulin des pro-Bachar, en Syrie ou ailleurs, et notamment sur la toile ou tout à chacun a pu s’emparer de la vidéo, et où de nombreux « combattants de salon » ont fait leurs propres montages, leurs propres commentaires, certains appelant je cite la communauté internationale à ouvrir les yeux sur la « réalité » des choses, sur la thématique » les salops, et les auteurs de crimes barbares sont les rebelles. Les « conspirationnistes » s’en donnent à coeur joie, dénonçant pour certains, je cite « le complot américano-sioniste » contre le régime syrien… et appelant la communauté internationale à ouvrir les yeux…
5- Quelle ont été les réactions au sein de la communauté internationale?
Unanimes. Et condamnant cette mise en scène, et la vidéo semant « l’effroi », ainsi que ces auteurs. La « condamnation sans action » est devenue dans ce conflit une spécialité « made in Occident »… L’Occident qui -rappel élémentaire- de par son inertie, sa faiblesse, sa lâcheté, son incapacité à déterminer une stratégie pour enrayer la mécanique guerrière en Syrie, porte une responsabilité historique quant à ce type de dérives. A l’origine, il faut se souvenir que la révolte était populaire et pacifique. Que le régime syrien a répliqué en usant du langage qu’il maitrise le mieux, celui de la force. Les insurgés sont alors passés de la banderole au jet de pierres, puis du jet de pierre à l’usage de la kalashnikov, ou du RPG, contre la machine militaire syrienne et de répression syrienne, qui use désormais de toutes ses armes, (mortiers, canons, missiles, chars, hélicoptères et jets de combats, et même… d’armes chimiques…), sans compter la terreur que sèment les shabihas et autres membres de la police secrète de Bachar, maîtres en l’art de la torture et de la terreur par tous moyens. Après deux ans de guerre, et d’inertie de la communauté internationale, (hormis les rafales de rodomontades), la révolte s’est transformée en guerre civile, et les guerres civiles sont les pires, surtout lorsque la dimension sectaire, religieuse, en l’espèce, alaouites (branche chiite), contre sunnites « rentre en jeu ». C’est cette dimension confessionnelle qui de surcroit a transformé le pays en nouvelle terre de Jihad, pour les extrémistes liés à al Qaida ou non, venus de pays voisins mais aussi d’Europe ou d’autres continents…
La Syrie est aujourd’hui la Somalie du Proche-Orient. En n’intervenant pas justement par peur que la Syrie devienne une Libye bis, ou une terre de Jihad, l’Occident a obtenu l’effet inverse. Le pays sombre dans le chaos. Et les jihadistes sont arrivés, en légion, de la région puis du monde entier, bien armés, bien équipés, beaucoup mieux qu’une rébellion nationale qui s’est divisée en une multitude de sous-groupes, dont certains ont versé dans le fanatisme religieux, parfois le gangstérisme, l’enlèvement de journalistes, et c’est ainsi que l’on finit par tomber sur des petits chefs de guerre capables du pire affirmant agir au nom de Dieu, comme l’a fait Khaled al Amad. Ou comme d’autres le font à une moindre échelle, estimant qu’avec le régime syrien c’est oeil pour oeil, dent pour dent, et qu’il n’y a pas de quartiers, ni de prisonniers à faire avec ceux qui violent toutes les lois de la guerre, si tant est que la guerre puisse avoir des lois.
6- La réaction de l’opposition syrienne?
Elle aussi officiellement condamne avec vigueur, et promet de « punir » les auteurs de cette vidéo. Un important chef militaire de l’ASL (Armée syrienne libre, se trouvant actuellement quelque part dans le Nord du Liban m’a dit sa consternation. Comprenant le mal que cette vidéo faisait à sa cause, il se désolidarise totalement de ce qui a été fait: « C’est terrible pour nous assure t-il. J’entends partout des voix dire que nous sommes tous devenus des cannibales! Et c’est tout juste si le régime syrien, auteur de tant d’atrocités à l’abri des regards et des caméras, n’apparaissait pas aujourd’hui comme un modèle de civilité face à nous. C’est terrible… Impardonnable, mais malheureusement cela s’explique. La tournure que peut prendre parfois malgré nous le conflit, compte-tenu de la situation sur le terrain, de l’éclatement de la résistance, du manque de moyens, et de notre difficulté à maitriser les techniques de com, là ou le régime dispose d’une machine de propagande impeccablement huilée, me fait mal! Pour un peu, Bachar le boucher serait un enfant de coeur à coté du petit chef de guerre qui s’est mis en scène de manière honteuse, affreuse et déshonorante… Malheureusement, il est impossible pour nous de présenter un front uni. Le front uni, c’était lorsque nous défilions par dizaines de milliers simultanément dans plusieurs villes sous des banderoles, appelant pacifiquement à des réformes pacifiques, et tentant de rallier les soldats de l’armée de Bachar à notre cause. Mais ce temps est bien loin. Le pays est plongé dans une situation terrifiante. Malgré nos efforts pour gagner une guerre que le régime nous a imposé de livrer. Mais les diplomaties occidentales ont une responsabilité première dans ces dérives, en ayant refusé de nous aider à la première heure. Maintenant les haines profondes, et les massacres, et le cortège d’horreurs de cette guerre font que le sang appelle le sang, et que la surenchère dans l’ultra-violence est permanente et non maitrisable. En cela, Bachar a gagné une victoire. En défiant sans cesse l’Occident, franchissant toutes les lignes rouges, il a provoqué des réactions désespérées dans nos rangs qui se traduisent parfois par des actions impardonnables comme le contenu de cette vidéo dont la diffusion arrange bien le régime, et même la communauté internationale qui se réfugie derrière ce type d’arguments pour ne pas intervenir. Nous sommes désolés, mais nous trouvons désolante l’attitude du monde occidental ».
Lequel monde occidental, qui promettait (dixit) Laurent Fabius l’été dernier, le MAE français, « une riposte foudroyante et massive en cas d’usage d’ armes chimiques, prône désormais une « solution politique ». C’est aussi le cap pris par les Etats-Unis. Convaincus d’un franchissement de la « ligne rouge », mais qui n’entendent pas intervenir militairement dans le bourbier syrien. Les chancelleries s’agitent, on évoque une nouvelle conférence internationale. L’ONU a reconnu la coalition nationale syrienne comme « interlocuteur légitime ». La France s’en est félicité et promet de tout faire pour oeuvrer à cette solution politique, obtenir la fin des violences, et concourir -sic- à l’instauration d’un régime pluraliste, démocratique et respectueux des droits de l’homme… Rien que çà! Autant de mots peu en phase avec la réalité du terrain et « une escalade continue de la violence, dans l’irrespect total de l’obsolète « convention de Genève » qui ne s’applique que dans le canton de Genève dit un diplomate européen qui ne fait pas dans la langue de bois et estime que toutes ces belles paroles et l’idée d’une nouvelle conférence internationale marquent la tragique impuissance des puissances occidentales. « Comment voulez-vous dit encore un observateur libanais averti régler autour d’une table, un conflit sanglant ou le feu ne faiblit pas, ou les haines s’attisent davantage de jour en jour, un conflit qui dépasse de bien loin les frontières de la seule Syrie, et ou il faudrait que se mettent d’accord les tenants du régime qui refusent toute idée que Bachar-el-Assad quitte le pouvoir, les alliés stratégiques du pays, l’Iran, le Hezbollah, et la Russie qui fournissent aide et assistance en conseillers militaires, matériels, et combattants sur le terrain, les états du Golfe et la Turquie qui soutiennent la rébellion, les USA en panne sèche de stratégie, et Israël qui poursuit son agenda, en frappant de temps à autre la Syrie pour l’empêcher de livrer des armes de poids au Hezbollah, ennemi intime de Tel-Aviv! Oui, comment peut-on penser un instant résoudre ce casse tête chinois? Alors que sur le terrain, la guerre atteint des niveaux de sauvagerie inouïs, engendrant un désastre humanitaire, auquel la communauté internationale est incapable d’apporter une réponse satisfaisante? »
Et L’homme de la « vidéo cannibale » dans tout cela? Il est désormais recherché assure le conseil national militaire syrien, organe qui tente de fédérer tous les groupes d’insurgés et a ordonné une enquête. Mais le combattant dépeceur et « cannibale » compte aussi désormais des partisans qui saluent son geste et le soutiennent! Ils l’affirment ouvertement sur les réseaux sociaux, où s’étripent pro et anti-bachar, analystes de bazar, et les champions du « complotisme » en tout genre… La vidéo elle ne cesse d’être reprise, multi-rediffusée, chacun y apportant son commentaire, sa vision… La guerre de propagande fait rage.
Pendant ce temps, sur le terrain, le conflit s’intensifie militairement et le calvaire du peuple syrien se poursuit…
Enquête à Beyrouth, Tripoli, Frédéric Helbert.