Les vérités du Juge anti-terroriste Marc Trévidic. Entretien sans tabous. (suite après focus Mali)
Publié le 21/01/2013 à 05h23 | De Kaboul à Bamako, Juge Marc Trévidic, nouvelles méthodes et filières du Jihad, terrorisme | 3 commentaires
Le Juge Trévidic auteur d’un 2ème ouvrage, »Terroristes, les sept piliers de la déraison », évoque dans un long entretien le Jihad, la menace, l’évolution du terrorisme, l’embrigadement express, le rôle des femmes, des apprentis-jihadistes de plus en plus jeunes, l’affaire Merah, les rapports avec le politique, le Mali encore, le changement d’ambiance depuis le départ de Nicolas Sarkozy, et bien évidemment sa passion pour l’écriture, et celle de son métier…
La semaine dernière, -actu oblige- c’est sur le Mali et les menaces terroristes liées à cette guerre que s’était focalisé le compte rendu d’un très long entretien que m’avait accordé le Juge Trévidic. Mais cet homme qui réussit à jongler avec de multiples vies, magistrat, père de famille, auteur de livre à succès, ex-patron de l’AFMI, (association française des magistrats instructeurs, formateur de magistrats (venus de l’Afrique sahélienne par exemple), joueur de guitare à ces heures, « empoisonneur »récurrent pour tous les pouvoirs (de par sa fonction et ses prérogatives qu’il exerce sans être d’aucun camp, mais en se heurtant souvent à la raison de l’état) celui qui a repris tous les dossiers du Juge Bruguière, et ceux du Juge Ricard, passionné par la matière sans cesse mouvante du terrorisme, sans pour autant négliger le dernier match de foot de l’un de ses fils(!), vient de publier donc son deuxième ouvrage. Après « Au coeur de l’anti-terrorisme », celui-là s’intitule * »Terroristes, les 7 piliers de la déraison ». Bien loin de nombre de « pavés » à caractère universitaire, racontant tout et n’n’importe quoi, se perdant dans des dédales incompréhensibles, le livre de Marc Trévidic s’attache avec minutie, esprit, humour parfois, à dépeindre à travers, des cas différents, et des nouvelles écrites à bases d’histoires réelles, un univers vu de l’intérieur, ses nouvelles règles, l’embrigadement de gens de plus en plus jeunes, le rôle grandissant du net, la fonction des femmes dans un monde d’hommes, et tout ce qui en arrive à faire pour certains que le Jihad repose sur les piliers d’une « tentation » dont l’auteur décortique les mécanismes. Et rend cette menace essentielle du nouveau millénaire, accessible à tous… Dans un monde compassé, obéissant à des règles surannées, Marc Trévidic est un homme à part qui ignore la langue de bois, et trouve dans l’écriture, un plaisir qui paradoxalement, alors qu’elle traite de dossiers si lourds qu’il gère à longueur de temps, lui permet « une forme d’évasion » et en même temps, la réflexion sur son action.
Entretien « no limits »:
Frédéric Helbert- Pourquoi un deuxième livre alors que vous avez tant à faire?
Marc TREVIDIC – L’écriture est un royaume de vertus: Cela a un effet déstressant! Quand j’écris, soudain loin des gardes du corps, des sirènes, des gendarmes, du pourpre et de l’hermine, de la pression permanente. de ces individus qui vous menacent à mots couverts(où pas), bref de l’univers pesant d’un juge anti-terroriste. Et puis cela permet de se poser, de réfléchir, et puis de relater « l’histoire en marche« . Pour moi c’est un vrai bonheur. J’aime écrire, les mots, le style, j’ai une « matière » exceptionnelle. Alors si le fond est top, il faut bien mettre çà en forme. Ce srait un peu dommage de faire un livre nul et « chiant » avec une matière de premier niveau. C’est le défi! les lecteurs jugeront! ‘J’ai tenté de faire en sorte que les gens puissent se mettre à la place de chaque personnage, ne s’ennuient pas, enfin j’ai essayé! Et puis j’ai eu beau eu refaire les comptes, on n’a qu’une vie, alors autant faire ce que l’on aime! Tout ce que l’on aime! Jusqu’à date de péremption!
FH: -Est ce que la donne a changé depuis la dernière élection présidentielle et le départ de Nicolas Sarkozy qui ne vous portait (porte) pas dans son coeur?
Marc TREVIDIC: – Oui, clairement, J’ai une pression en moins. On me laisse travailler normalement. je suis (sic) plus en sécurité… Je n’ai plus l’impression que l’on fasse tout pour me faire partir. Je le vois aussi au fait que plus de moyens, d’enquêteurs sont mis à ma disposition. Après je ne me fais pas d’illusion, le pouvoir d’aujourd’hui le sait. Je traite tous les dossiers de la même manière, quelles que soient les ramifications politiques. Mais ma vocation n’est pas d’être systématiquement « l’emmerdeur ». Souvent je traite des dossiers qui vont dans « le sens du poil ».
FH: – Vous regrettez de ne pas avoir été nommé dans l’affaire Merah, dont vous connaissez nombre de paramètres parmi le groupe de magistrats-instructeurs?
Marc TREVIDIC – Bien sûr, mais c’était encore « l’ère Sarkozy ». On me privait alors de dossiers comme un gosse qu’il faut punir, (sourire). Il faudrait vraiment ne pas avoir la passion du métier! pour ne pas regretter Mais enfin bon, j’ai des confrères très compétents qui font le boulot. Et je n’en manque pas… (le dossier Merah donnera lieu a un traitement particulier eu égard aux déclarations, confidences précises du juge qui estime que Merah a été l’objet d’une légitime tentative de retournement qui a été un échec. Ca valait le coup d’être tenté dit le juge, après on s’est planté complet. Merah a « roulé tout le monde dans la farine », ce qui a fini par déboucher sur la tragédie désormais connue).
FH – Vous n’êtes pas découragé parfois par des dossiers qui semblent sans fin (Copernic, Goldenberg, Rwanda, Karachi etc…?
Marc TREVIDIC: – Non! l’instruction c’est comme un puzzle, et parfois on a affaire à des puzzle géants! Quand on trouve une petite pièce, puis une autre, et que le visage d’une affaire se dessine, je suis content! et puis nous n’avons pas à l’instruction vocation à rendre une Justice immédiate, une Justice Mac Do! Non, imaginez quand je pense pouvoir boucler une énigme vieille de 30, 20, ou 10 ans! La joie, joie pour la Justice et les victimes aussi. Boucler Un dossier qui fait 25 tomes et 5 mètres de haut! C’est un sentiment fort! Parfois il y a du découragement qui pointe, et puis soudain, un document, un témoignage permet de relancer la machine. Je ne renonce jamais…
FH – La vocation de votre nouveau bouquin?
Marc TREVIDIC – Ramener l’anti-terrorisme, et les dossiers, à une dimension individuelle, personnalisée. Derrière les grandes formules, les concepts, il y a des gens, des femmes et des hommes, des mineurs parfois qui « incarnent ». Là, on quitte le concept, on rentre dans l’humain. Et on a aujourd’hui des surprises. De plus en plus de gens viennent au Jihad via internet, Facebook ou autres forums, sans qu’il y ait eu de réflexion profonde, de démarche mûrie. Mais ils deviennent de la chair à canon pour les recruteurs qui sont de l’autre côté de la toile. On est dans une autre ère. Le pari est pour nous de nous adapter à ces bouleversements. C’est passionnant! Prenez par exemple l’exemple des femmes, notamment des musulmanes en Europe. On connait les cas de certaines femmes devenues des kamikazes, des bombes humaines au service du Jihad, mais les grands chefs théologiens du Jihad qui émettent des fatwas, appelés à se pencher sur le problème, ont changé les « règles » maintenant. Une femme n’ayant pas le droit de sortir seule, sans mari, ou sans homme à ses cotés, sans Burka, alors les religieux ont planché et tranché. plus de femmes kamikazes! mais elles jouent un grand rôle comme administratrices et autres sur le Web, ou elles passent des heures, font de la propagande, des collectes. Sans contact avec les hommes, sans Nikab, donc dans le respect de la religion. Internet c’est l’avenir de la femme intégriste.
FH- Vous évoquez aussi dans votre livre l’éternelle ambivalence du politique à l’égard des jihadistes….
Marc TREVIDIC: Oui, L’hypocrisie du politique elle n’a pas changé. A une époque, un moudjahidin afghan qui maniait du Stinger contre un russe en Afghanistan, c’était un combattant de la liberté comme le disait Reagan. Maintenant un tchétchène qui lutte contre le même russe, c’est un terroriste! Hypocrisie permanente quand un pays dont on est allié diplomatique finance à ciel ouvert les jihadistes ici et là, et en même temps nous achètent des armes. Les bons et les méchants, c’est toujours un système à géométrie variable… On accepte l’intégrisme là où l’on achète du pétrole, on le dénonce là où il n y’a pas de business à faire… Donc, et c’est une des tentatives de démonstration du bouquin, le terrorisme global, on y est largement pour quelque chose. Et que les politiques viennent crier aux grands principes est une hypocrisie fondamentale quand on connait le dessous des cartes, et d’un jeu qui peut se révéler dangereux, voire se retourner contre nous… Quand on sait ce qui se passe ce moment même (cf. Premier volet ITW) au Mali, on a sous les yeux une preuve criante… Maintenant encore une foi, le risque est là, mais il faut l’assumer et garder notre sang-froid. Ne pas tirer entre les pattes, comme cela été fait dans le l’enquête Merah…
FH- Comment contre-carrer la propagande pro-merah par exemple, avec tous ces jeunes, qui en font une idole et un exemple, à l’école?
Marc TREVIDIC – C’est sensible, mais un jour, il faudra peut-être envisager d’établir dans le système scolaire une nouvelle matière, l’histoire du terrorisme. C’est dur sur des affaires pour lequel on a pas pas beaucoup de recul et puis, la définition même du « terrorisme » est sujette à débat permanent. Mais, ne serait-ce qu’en parler dans une salle de classe, déjà avec des gens qui connaissent la « matière », ce serait déjà pas mal! On l’évoque déjà le terrorisme dans l’histoire contemporaine du XXème siècle, alors pourquoi ne pas évoquer cette « histoire en marche » dont je parle dans mon bouquin, et sur laquelle livrés à eux même, et à leurs ordinateurs, aux « conneries » qu’ils entendent, à celles qu’ils se racontent, les jeunes « flirtent » intellectuellement avec le danger.
FH- et vous en retrouvez parfois dans votre bureau de juge d’instruction…
Marc TREVIDIC – : Absolument et ce sont parfois les parents qui nous appellent parceles parents qui n’ont rien vue qu’ils ont découvert sur l’ordinateur de leur fils des vidéos abominables, scènes d’égorgement, d’amputations, d’actions armées des jihadistes en Afghanistan,Irak, au Yémen. D’autres trouvent des billets d’avions pou des « destinations » Jihad, parfois même des testaments(!!!) de gosses de 16 ans, qui n’ont rien compris mais qui se sont faits attraper comme des mouches. Imaginez pour des parents qui n’ont strictement rien vu venir… Parfois c’est l’action de la DCRI ou d’autres services qui nous permet de « taper » des cellules, ou l’on a la surprise de retrouver beaucoup de gens très jeunes, 18-20 ans tout au plus, mais aussi parfois 15,16! . Si la crise d’ado maintenant c’est partir pour aller mourir en kamikaze en terre de Jihad, imaginez la tête des parents! Alors avec les policiers, je fais un boulot de « destruction ». On casse le château de cartes, parfois en 5mn, caàpeut aussi prendre plus temps. Avec certains jeunes majeurs, terriblement buttés, on ne peut pas prendre de risques, alors c’est la mise en examen, avec un passage parfois obligé par la case prison. j’essaie d’éviter au maximum l’incarcération, sachant que la prison est vecteur d’un endoctrinement dans la réalité qui peut faire beaucoup plus mal, mais il n’y a pas toujours d’alternative.
FH -Le danger principal aujourd’hui c’est répétons le Sahel, devenu nouvelle terre de Jihad?
Marc TREVIDIC: Plus que jamais. le Mali c’est le nouvel Eldorado des chercheurs de Jihad. En plus ce n’est pas compliqué d’y aller ou de passer par un pays limitrophe. Chez les jeunes dont je vous ai déjà parlé, la contagion est en marche. Avant l’épisode algérien -qui ne va pas simplifier la donne- il y avait des gens qui appelaient sur Internet à venir les rejoindre pour venir faire le Jihad au Mali. C’est Jihad.com à bloc! Nous on est en état de veille maximum, mais la toile est grande… Les forums islamistes chauffent à bloc en ce moment. Les experts font du bon boulot, mais si ça s’envenime, que ça dure, que ça dérape, alors les risques de casse terroriste seront partout.
FH- Mais le risque aujourd’hui ne se limite pas qu’au Jihad?
Marc TREVIDIC: Bien sûr que non. On est en période de grande crise, la menace d’un retour de l’euro-terrorisme façon Action Directe, ou fraction Armée Rpuge (Allemage) existe vraiment. Le terroriste fondamentaliste d’origine religieuse, la guerre des religions, fait peur à tout le monde, mais elle ne doit pas occulter d’autres possibilités. Les terroristes de l’ultra-gauche ciblent, ont deslimites, le terrorisme religieux peut tout se permettre, et se permet tout, et c’est ça fait peur. Nous ne sommes pas au bout de nos peines avec des hommes qui disent n’avoir aucune peur de mourir, frapper au nom de Dieu, et avoir l’éternité pour parvenir à la victoire!
Propos recueillis par Frédéric Helbert.
* Terroristes, les 7 piliers de la déraison. par Marc Trévidic. Editions Jean-Caude Lattès.