En Syrie, le reporter Yves Debay, éternel « fou » de guerre, a été tué par un sniper sur le front d’Alep
Publié le 18/01/2013 à 17h54 | disparition d'un "fou de guerre", Mort d'un journaliste, syrie, Yves Debay | 3 commentaires
Sa « ligne » de Journaliste? Celle de front et toujours la première!
D’Yves Debay je me souviens d’un colosse regard clair, d’une compétence à toutes épreuves rivalisant avec une gentillesse formidable. L’homme ne savait que sourire. Solide comme un roc, jamais il n’abandonna sa capacité à affronter tous les dangers avec maitrise. La guerre était son domaine, les champs de bataille ses territoires. Les armes, militaires, supplétifs, ou mercenaires de tous bords n’avaient aucun secret pour lui. Ex-mercenaire dans une première vie, il avait versé dans le journalisme de guerre spécialisé comme on entre en religion. Mais une religion qu’il pratiquait joyeusement et sereinement, pour tenir et durer face à l’horreur.. Expert incollable en armements en tous genres, il a longtemps travaillé pour la mythique revue spécialisée Raids avant de créer la sienne, Assaut. Dans les rangs de la presse, des envoyés spéciaux ou correspondants, qui souvent arrivaient après lui -mais il n’en tirait aucune gloriole- Yves Debay ne manquait pas de détracteurs, qui moquaient son engouement pour la chose militaire, mais se gardaient bien de venir prendre de front l’ancien mercenaire au coeur tendre. L’homme n’avait pas son pareil, personne à sa hauteur pour identifier te l ou tel système d’armes, et à partir de là comprendre une stratégie, ou identifier les vainqueurs des vaincus, parfois même, l’origine des dites armes. A l’heure ou fleurissent, les experts de salon, ceux qui de la guerre et du terrorisme sont devenus d’immenses spécialistes sans jamais avoir vu – au feu- un para, un révolutionnaire, un putschiste, un jihadiste, un épicier ou ingénieur devenu guerrier malgré-lui, Debay lui ne croyait qu’à une seule vérité, en tous les cas une seule loi: Celle du terrain. Quand un conflit se déclenchait, ou un épisode de tumultes, et que l’on sautait dans l’avion puis dans une voiture pour rejoindre une ligne de front, que l’on croyait avoir été des plus rapides, le plus souvent, on le croisait promenant sa silhouette sportive, son oeil perçant, et qui lâchait sans fanfaronner – Ca fait deux jours que je suis là… En Irak, cela lui avait joué des tours. Il était allé plus vite que les troupes mêmes… Il fut rareté parfois étant qualifié rapidement d’espion, mais se sortait toujours des situations les plus délicates
Un homme de simplicité et de panache discret. Qui n’avait pas son anecdote à raconter le concernant?
Souvent nous étions quelques-uns à profiter de son savoir, de sa compréhension, et de sa générosité. Yves
Debay cultivait le sens de la camaraderie. Je ne sais plus combien de fois lui ai-je demandé, – Yves, c’est quoi çà, comme arme, comme calibre? Et ça, à quoi ça sert? Et, incollable, il répondait, toujours avec cette gentillesse lumineuse- qui était aussi sa marque de fabrique. Yves Debay appartenait à cette race de grands du métier, et d’un certain reportage de guerre, pour lequel chacun d’entre nous a un souvenir, une anecdote à raconter, qui refleurissent aujourd’hui. Parce tous nous l’avons croisé sur tous les terrains. Charmant même sous la mitraille. Il faisait parfois le plus naturellement du monde, ce qui pouvait paraitre parfois complètement insensé pour d’autres. Je me souviens d’un matin, au Koweit je crois, avant l’entrée des troupes au sol dans guerre d’Irak, alors que chaque média non embedded se préparait à tenter de rejoindre le front, de l’avoir vu mettre la main à son chef d’oeuvre d’alors. Il avait entièrement recouvert son 4X4 d’une couche de sable mélangée avec de l’eau, savant mélange qu’il avait concocté avant de passer à l’oeuvre pour un résultat saisissant. Là ou nombreux se sont le premier jour heurtés aux barrages à la sortie de Koweit City, Debay fut l’un de ceux qui tailla sa route dans le désert, impavide, réussissant un deuxième exploit. Passer aussi la frontière séparant le Koweit de Bagdad, sécurisée à mort. Il s’insérra dans un convoi, casque sur le front, l’air martial et passa finger in the nose. Une leçon qui ne fut pas perdue pour tout le monde…
Travaillant presque seul tout le temps, faisant tout, textes et photos, souvent en connexion directe avec les militaires d’un camp ou d’un autre, (et pas ceux de l’arrière…), avec lesquels il négociait comme un chef, ses armes étaient le stylo et l’appareil de photo. En bon artisan, il faisait tout lui-même…Debay répugnait à jouer et fustigeait les journalistes déguisés, faisant le show à la TV, en gilet pare-balles et casques, entouré d’une forêt de techniciens, eux en tee-shirt… Le gilet, il ne le portait que vraiment lorsque ça canardait dru et encore… On le voyait le plus souvent, avec « son unifiorme, pompes tous terrains, pantallon de treillis, et une veste multi-poche contenant tous ses accessoires de mac Gyver du reportage en zone de guerre Moi, je ne l’ai jamais entendu prononcer un mot méchant à l’encontre des « matamores » ou de ceux qui n’avaient pas son expérience et sa solidité. « Chacun fait ce qu’il veut » me disait-il. Mais l’homme au large sourire légendaire, et à la voix douce, pouvait montrer les crocs, voire faire partir une bonne droite, quand ceux qui le décriaient passaient la ligne rouge. Dans le très bel hommage qu’il consacre à Debay, Rémy Ourdan, grand-reporter au Monde, cultivant avec succès une fascination de tous les terrains guerriers, raconte avec des mots choisis ces épisodes, non sans une certaine gourmandise, lui qui sans jamais tricher, aime à s’immerger aussi dans un univers si fécond en récits à la fois formidables et pathétiques. Ou tous les masques tombent. Adrien Jeaulmes, pour le Figaro, toujours flegmatique et élégant, dresse également un portrait haut et en couleurs.
6h du matin en Irak après une sale nuit, un sourire et la proposition qui jaillit: café ou whisky les gars?
Yves Debay assouvissait sa passion aux quatre coins de la terre. Je l’ai connu « bébé-journaliste » lors de la guerre du Golfe(!), ou son savoir et ses relations au sein des français de la division Daguet valaient son pesant d’or et m’ont aidé plus d’une fois. Mais tous ceux qui ont fréquenté les champs de bataille ont pu dire un jour ou l’autre: J’ai vu Debay. Et tout le monde a le concernant une anecdote, une histoire à raconter. Je me souviens aussi de cette aube blanche en Irak, avec le cameraman Pierre Creisson, ou après avoir dormi par terre dans un confort plutôt spartiate, nous nous étions aperçus, un peu désespérés et la geule enfarinée que nous avions crevé dans la nuit pour la 3ème fois, qu’il nous manquait du matériel, et que le seul cri qui nous rester correspondait mieux à une Austin Mini qu’aux pneus énormes d’un 4X4 . « On va arranger ça les gars » avait lâché Yves, sentant soudain le « coup de mou » s’emparer de nous. Et comme dans une pub, par delà l’aide technique, il nous avait proposé, à 6h du matin: « café ou whisky les gars? » Voila qui a au delà de ses « coups » avait forgé de son vivant chez les « happy fous » de la guerre, la légende Debay. De la Bosnie à l’Irak , du Liban au Kosovo, du Congo à l’Afghanistan,de la Libye à la Syrie, et j’en passe tellement, il n’a rien manqué. Jamais. Même s’il avait parfois du mal à joindre les deux bouts, même s’il travaillait pas pour un magazine à grand tirage, il y arrivait toujours. Sur le terrain de peu se contentait. Son bonheur de journaliste était d’y être. Et de la lumière des projecteurs, il se foutait éperdument…
Sa passion? comme son sourire: toujours intacts…
Parfois il disparaissait pour réapparaitre quelques jours plus tard, avec un reportage épatant, réalisé en ayant réussi à traverser la ligne de front. Son combat: mettre en perspective les enjeux, les stratégies possible, les rapports des forces en présence, en fonctions des armements des uns ou des autres, expliquer dans un univers de plus en plus sophistiqué à quoi servait tel ou tel équipement, partager le quotidien des guerriers, pour faire comprendre la raison de leur engagement, de leur sacrifice, de leur capacité à affronter à chaque instant la mort. Car il était bien plus, derrière une pudeur que masquait son sourire et sa gentillesse, qu’un expert en canons, calibres, portée, chars, avions, hélicos, et spécificités de te l où tel régiment. La « gloire »? celle qu’il aurait pu légitiment trouver, je suis presque sûr qu’il ne l’a jamais cherché. Même le jour ou il fut l’un des rares à assister et à relater en direct et en première ligne, la chute et destruction de la statue de Saddam Hussein à Damas. Son plaisir était dans la simplicité, la camaraderie façon « popotes », ou des réunions dans la nuit autour d’un feu de guérilleros, et cette folie, ce « virus », de la (couverture de) guerre à sa façon, qui s’était emparé de lui et ne l’aura jamais quitté. Les années n’avaient guère de prise sur lui. Sa passion demeurant toujours intacte . Il en faut un sacrée dose pour, sous les rigueurs d’un hiver d’une rudesse impitoyable, s’en aller rejoindre l’un des fronts les plus dangereux d’Alep. Yves Debay avait 58 ans. A l’âge ou il aurait pu se ranger des voitures blindées, il continuait, toujours en première ligne. Et C’est dans une ville, ou les combats ont atteints une violence et une intensité sans pareilles, qu’un sniper l’a tué. Il avait une passion brulante. elle a fini par le dévorer. il en est mort…. Les risques du métier. Ne parlons-pas pour lui de grâce, mais gageons, en priant qu’il n’ait pas souffert, que le scénario de cette « mort en scène » à la Molière, ne lui aurait pas déplu… Quoiqu’il en ait été, il aura été un homme et un journaliste à part,comme on en fait plus, un colosse tendre, qui évoluait dans un univers de violences,de cruautés, d’individualisme forcené, sans jamais se départir de son élégance naturelle. Et puis jusqu’au dernier instant, il sera resté celui qui ne s’imaginait ailleurs que sur le terrain d’où il cette fois, il ne reviendra pas.
Frédéric Helbert