Mali: Zones d’ombres et questions sur une opération qui s’improvise jour après jour
Publié le 15/01/2013 à 22h20 | buts de guerre incertains, DGSE, Intervention française, Mali, otages, Somalie, zones d'ombres | 6 commentaires
Les multiples incertitudes, doutes et surprises de l’opération « Serval »
La mission de la France?
Chaque jour, chaque heure elle apparait de plus en plus importante à assumer. Faute du déploiement en temps utile d’une force africaine efficace, faute d’une aide réelle de partenaires européens ou américain, faute de la capacité de l’armée malienne à tenir le terrain, la France est passée d’une planète à l’autre quand aux objectifs, et buts de guerre. Aujourd’hui, se déploient, d’abord sur l’aéroport de Bamako, toutes les unités venues des pays voisins ou de l’hexagone, de l’armée de terre française. Marsouins, légionnaires, fantassins, hommes des forces spéciales, Tout le monde débarque. Avec armes de pointe, et paquetages, munitions et rations de combats… Dans l’urgence, certains ont fait le chemin par la route, parcourant des centaines de kilomètres à bord de véhicules de l’avant-blindé, (VAB) de blindés légers, Blindé « Sagaie » et d’autres. Et ce alors que rien de tel n’était prévu. Certains soldats confessent sur leur tarmac de Bamako n’avoir pas suivi les procédures d’alertes, ou de pré-alertes… Il a fallu partir au plus vite et tailler la route. D’autres ont emprunté des avions gros-porteurs parfois loués à des pays étrangers, ou prêtés sans grand enthousiasme par ceux-ci. (Car ce qu’on appelle la « projection de forces » reste depuis des décennies le talon d’Achille des armées françaises. Et maintenant, il faut tout remettre en ordre, vérifier les armes, mettre en ordre les dispositifs opérationnels, établir les états-majors de campagne, reprendre des forces avant d’aller plus loin Bref, dans cette opération « Serval », « on avance en marchant » ironise un général fustigeant une inédite imprévoyance alors que les données sur le terrain étaient connues de puis longtemps… et s’étonnant de cette soudaine prise de responsabilité totale de l’opération lancée contre les islamistes occupant le Nord-Mali. Un légionnaire en astiquant son arme après l’avoir complètement démonté et remonté rappelle une des devises de la légion aimant les formules qui claquent, devise fortement appropriée en l’espèce: « La légion marche, La route suit ». Des blindés armés Sagaie équipés de canons de 90mm ont déjà pris la route du nord…
Les avions? les hélicos? Pas suffisant face à la détermination des islamistes et leur connaissance du terrain, leur armement
12 chasseurs (Mirage 2000D, Mirage F1-CR, Rafale, 5 avions ravitailleurs, des Bréguet-atlantiques (appareils de recco), des hélicoptères gazelles et des Tigres sont mobilisés pour des frappes que le ministre Jean-Yves le Drian dit être efficaces. Reste que la règle est connue et n’a pas changé: Si personne n’est là au sol pour tenir des positions que les bombardements sont censées libérer, ces zones restent hors-contrôle. Et les islamistes d’AQMI, d’Ansar Dine, du MUJAO, ne lâchent rien. Leur connaissance du terrain désertique (grottes et caches diverses possibles), leur volonté de tenir la « dragée haute » aux forces françaises ou autres, leur mobilité, leur capacités à se fondre dans des zones, des villes, des villages peuplés, empêchent l’offensive aérienne d’être réellement efficace, en tous les cas décisives. L’armée malienne étant incapable de tenir le terrain, les islamistes prennent des villes comme ils l’ont fait à Diabali, sont encore présents à Konna, ou ailleurs, continuent à faire régner leur lois et appellent même parfois à la résistance à l’envahisseur. Qui plus est leur équipement est de qualité. Ils ont eu tout le temps de faire leur marché, à la fois en Libye, ou norme d’entre eux ont combattu comme mercenaires. La Libye a été et reste un grand marché d’armes à ciel ouvert. Les islamistes en ont même ramené des blindés légers… Au rayon armes automatiques, ils ont toute la panoplie et ne manquent pas d’armes lourdes, mitrailleuses 12,7, canons de 20, 24, 30mm, et batteries anti-aériennes, le tout souvent montées sur leurs centaines de picks-up ultra mobiles, et cibles principales des frappes aériennes jusque ici.
Les contingents africains?
Ils se hâtent lentement. Les chefs d’états-major des divers pays de la CEDEAO se sont rencontrés aujourd’hui… pour se repartir les commandements. Ce qui, eu égard à la susceptibilité des uns et des autres n’est pas joué… La tête de l’opération africaine a été confiée aux Nigérians. « Une bonne chose dit un officier supérieur français ». Les nigérians sont des bons combattants. Ils l’ont prouvé par le passé, sachant aller au « casse-pipe », comme ils l’ont démontré par le passé en tant que casque bleus, notamment en Sierra-Léone.
Mais certains pros s’interrogent sur ce qu’on appelle en termes militaires « l’inter-opérabilité » des divers continents. C’est une question essentielle de communication par exemple car les nigérians sont de culture anglo-saxonne, alors que les autres contingents sont francophones. C’est aussi une question de technique et de règles militaires et de niveaux différents. « Quand on sait que nous nous somme souvent heurtés aux américains en Afghanistan » quant aux stratégies à appliquer, on peut légitimement s’interroger, voire s’inquiéter dit encore l’officier français qui était de la campagne afghane.
Et les buts de guerre français?
La première réponse du Président de la République aujourd’hui en visite aux Emirats-arabes Unis a été sèche. Que comptez-vous faire des islamistes a interrogé un journaliste. – les éliminer! a répondu d’un mot François Hollande. Avant d’apporter un bémol qui laisse quand même songeur. – Les éliminer ou les capturer, ça peut servir… Le « ça peut servir » fait immédiatement penser à des interrogatoires, dont on se demande qui les mènera et de quelle manière… Sachant qu’en Afrique, les interrogatoires « musclés » voire très musclés sont la règle. Par ailleurs sachant que plusieurs pays voisins du Mali, comme l’Algérie ont commencé a fermer leur frontières pour éviter, que ces pays deviennent à leur tour des refuges, des sanctuaires pour un nombre d’islamistes que l’on estime en l’état entre 2 et 3000. On imagine mal l’Afrique créer son Guantanamo, comme on imagine mal, quelles que soient les horreurs qu’ils ont commises, que la stratégie consiste à éliminer physiquement tous les islamistes, qui, ne sont certainement pas prêts à se rendre à déposer les armes. Bref, c’est le « flou artistique total » si l’on peut dire quant à l’avenir de cette guerre déclenchée dans l’urgence à l’improviste, certes pour protéger le Mali, protéger les français et les intérêts français importants aussi bien en Afrique (au Mali ou Areva continue à exploiter l’Uranium) que dans l’hexagone ou la crainte de tentatives de ripostes terroristes est bien réelle, et a été souvent évoquée ici, (cf l’interview du meilleur chasseur de terroristes et connaisseur des dossiers islamistes, le juge Marc Trévidic).
Et les otages?
Mutisme total et compréhensible de ce coté là. Même si le top donné à une opération qu’il a voulu et ordonné, signale un changement de donne du coté du pouvoir. Dans l’entourage de François Hollande, certains confient à voix basse que le nouveau Président veut bouleverser la donne habituelle et cesser, comme l’ont fait ses prédécesseurs, de payer des rançons exorbitantes en échange de leur libération. Rançons qui n’ont cessé d’alimenté l’effort de guerre islamiste, et ont permis entre autres, aux hommes d’AQMI et à Abou Zeid de se fournir largement en armes de tout genre qu’ils vont opposer maintenant aux soldats français. Reste que la chance, quelque soit les capacités, la maitrise technique et le courage des hommes des forces spéciales ou du Service Action de la DGSE, de parvenir à libérer les otages par des coups de force sont plus que limitées, voire nulles dès lors que ces otages sont sous surveillances de bandes armées à la férocité totale et à l’absence totale de scrupules. Denis Allex était un militaire dit un homme du Renseignement français. Il avait choisi sa voie, son métier, en tant que membre du Service Action de la DGSE. Il savait à quoi il pouvait s’exposer. Comme les hommes du commando envoyés pour tenter de le libérer. Le pouvoir le savait en donnant un top opérationnel le même jour que celui délivré pour le lancement d’une opération militaire conséquente destinée à sauver le Mali du péril islamiste. Empêchant ainsi les médias de se focaliser uniquement sur l’échec de l’opération en Somalie. Calcul cynique? Pas forcément… Si tout avait marché, si les deux opérations lancées concomitamment avaient réussi pleinement sans pertes, le pouvoir aurait lancé alors un message sans ambiguité aux islamistes: Nous sommes capables de vous faire la guerre, et nous sommes aussi capables de libérer nos otages. « Là, c’eut été du gagnant-gagnant confie une source connaissant aussi bien la chose militaire que le monde du Renseignement et celui des politiques. Mais les choses ont tourné autrement. Et les familles, en l’absence de message clair des preneurs d’otages sont plongé désormais dans une angoisse folle.
Bref, si militairement les choses avancent, si les islamistes globalement sont en difficulté mais loin d’être vaincus, si le gouvernement affiche une détermination totale, l’incertitude, les zones d’ombres, les questions sur le déroulé, le résultat, le temps que dureront les opérations, mollement soutenues par la communauté internationale, et les risques qu’elles impliquent restent aujourd’hui entières.
Frédéric Helbert