ITW du Juge Marc Trévidic. « Au Mali l’ennemi des islamistes c’est la France ». Menaces sur l’hexagone.
Publié le 12/01/2013 à 16h50 | ANSAR DINE, AQMI, Intervention française, Jihad, Mali, Marc Trévidic, menaces pour l'hexagone, MUJAO, terrorisme | 3 commentaires
-EXCLUSIF-
ITW recueillie vendredi soir. Alors que l’offensive française était lancée.
« Nous assistons à la naissance d’un dangereux black power jihadiste. On leur a déclaré la guerre. Ils répondront avec leurs moyens. La menace d’attentats sur le sol français, liée au conflit malien, est bien réelle ». Le juge anti-terroriste Marc Trévidic.
Le juge anti-terrroriste Marc TREVIDIC, vice-président du pôle spécialisé de la Galerie Saint-Eloi est aux yeux de tous le meilleur spécialiste du terrorisme jihadique, de l’Islam radical, des filières d’un réseau mondialisé. C’est lui qui en 2007 a repris les « manettes » sur ces dossiers, à la place d’un duo longtemps resté aux commandes: Jean-Louis Bruguière et Jean-François Ricard. A ce titre l’auteur du’un deuxième ouvrage qui vient de sortir en librairie, » Terroristes, les 7 piliers de la tentation », Marc Trévidic qui gère la lutte contre la nouvelle menace de filières maliennes, évoque sans tabous la menace actuelle, ce à quoi il faut s’attendre: Une riposte, d’une manière ou une autre, sans doute sur le sol français, ou à tout le moins des tentatives d’actions violentes contre les français où leurs intérêts. Parce que pour les islamistes du Mali, dont d’autres peuvent se monter solidaires, la France est devenu l’ENNEMI.
« Pour les fous de Dieu du Nord-Mali, l’ennemi a un nom, un visage: la France. La France qui doit, pour les islamistes en guerre sainte, qui va payer son engagement conséquent. Le péril est là. A nous de monter la digue« .
Frédéric Helbert: – Est-ce que la France est en danger aujourd’hui, et risque de subir des attentats?
Marc TREVIDIC: – Clairement! La menace, le risque sont là avec le Mali. On retire nos troupes d’Afghanistan et en même temps on décide de s’engager au Mali. Et pas avec les dos de la cuillère. Je peux très bien comprendre cette décision politique mais il va falloir gérer en retour, les risques énormes. Le fait qu’on soit l’ennemi, l’ennemi principal pour les salafistes et jihadistes là-bas qui occupent le Nord-Mali, voire les 2/3 du pays. Et la fatalement avec une communauté malienne importante en France, et au delà une communauté de populations africaines musulmanes, il va falloir faire très attention et surveiller cela comme le lait sur le feu. Il ne s’agit pas de stigmatiser qui que ce soit, mais il ne faut pas rêver, il y a là un terreau fantastique pour les islamistes qui à des milliers de kilomètres trouveront sur notre sol quand ce n’est pas déjà fait des alliés précieux, ou des soldats au sein de ces communautés, pour frapper la France ennemie. Nous ici on ne peut pas attendre le résultat d’une campagne militaire, on doit anticiper les menaces. Des réseaux vont inévitablement se se constituer. Ils voudront venger les leurs: Nous sommes dans la ligne de mire. A nous de tenter de mettre sur pied des parades et d’éviter le pire. Mais le danger est là oui… Tous les techniciens de l’anti-terrorirsme le savent.
Trois ou quatre filières maliennes identifiées
FH: – Est ce qu’on déjà constaté que se reproduisaient des schémas qu’on a connu par le passé avec la constitution de filière de formation, d’envoi d’apprentis jihadistes, comme on l’a vu avec la Bosnie, la Tchétchénie, L’Irak, L’Afghanistan?
Marc TREVIDIC: –Pas tout à fait. Je crois qu’on ne connaitra plus jamais le phénomène des filières très structurées comme le « Londonistan », ou on vous accueille, on vous prend par la main et on vous amène sur des terres de Jihad dans des camps d’entrainement à ciel ouvert…. Ca c’est fini. On a cassé ce système bien huilé. Maintenant, il y a des petites filières artisanales, et il y en a qu’on a clairement identifié pour le Mali, trois quatre en l’état qui ont donné lieu à l’ouverture d’enquêtes judiciaires. On suit des pistes de près. Encore une fois ce n’est pas le « Londonistan », la grande filière « industrielle » comme à la belle époque, mais les filières pour le Mali existent, s’installent et devraient se développer Notre force c’est qu’on a commencé à travailler en amont il y a plusieurs mois sur le phénomène. Nous avons décelé une volonté chez pas mal de jeunes, de se rendre à tout prix au Mali, (NDRL: Nord-Mali), parce que que le Mali c’est un pays ou on applique l’Islam, la Charia (loi coranique) pure et dure. C’est un « pays à la talibanne » à fort pouvoir d’attraction pour les extrémistes religieux, et ceux qui veulent faire le coup de feu contre la France, là-bas, ou un jour ou un autre la « châtier » sur son sol. Le Mali c’est un pays ou les groupes qu’on connait appliquent dans l’esprit de certains le « vrai Islam ». et c’est maintenant un pays « menacé » par la France… Donc il s’est produit la même chose psychologiquement que pour les Talibans: beaucoup de jeunes et d’exaltés se disent: « Enfin un pays ou on applique le vrai Islam, et en plus nos frères sont menacés, donc y faut y aller et les aider, je veux y être et défendre cette terre purement musulmane. Les jeunes embrigadés se disent: « C’est là-bas que je veux faire mon Hijra (quitter une terre de « mécréants » pour rejoindre une terre d’Islam pure selon les islamistes) et le Jihad » . Hijra et Jihad. Voila les ingrédients explosifs et irrésistibles, les mêmes qu’en Afghanistan pour les apprentis-jihadistes. Dès qu’il y a un endroit dans le monde, où une terre apparait comme une vraie terre d’islam libérée et purifiée, il faut y aller.
FH – Et ils sont nombreux ces gens là, ces jeunes ou moins jeunes qui veulent y aller?
Marc TREVIDIC: –Difficile à dire en l’état. Moi je regarde à travers le prisme des dossiers qui sont les miens. Je pourrais vous dire une quinzaine de personnes identifiées mais c’est un chiffre qui ne reflète pas la réalité. Et puis on a vu avec Merah ce qu’un seul homme pouvait faire… Est-ce que c’est beaucoup plus ou pas? Je ne peux faire de la statistique. C’est très compliqué: Il y a les français et les gens qui vivent en France, les bi-nationaux et les maliens qui font des allez-retours, qui vont à Bamako et parfois plus loin, sans avoir besoin de visa. Ils vont chez eux dans leur pays! Alors comment savoir ce qui se passe là-bas et après… Le renseignement là-bas, c’est pas coton! Y’a un mouvement important, incessant. D’autant que certains peuvent basculer en un instant. Les français que j’appellerais « basiques » comme vous et moi et qui vont là-bas, y’en pas tant que çà, juste quelques uns. c’est presque impossible de faire un tri sélectif pour déceler ceux qui vont là-bas avec des volontés jihadistes. Evidément, l’intervention française complique les choses car elle va forcément entrainer de nouvelles vocations. On est au coeur d’un cyclone là…
FH – A t’on déjà détecté le mouvement classique dans ce genre de configuration, où des gens vont là-bas s’aguerrir, et reviennent ensuite avec pour mission de « booster » les filières, de de devenir des « agents dormants », voire de préparer des actes de terrorisme sur le sol français?
Marc TREVIDIC: On est tellement actuellement dans des questions ultra-sensibles et mouvantes… (il s’arrête, hausse les épaules, sourit) voila, je ne pourrais aller plus loin plus la-dessus et vous comprendrez pourquoi.
(Mais selon d’autres sources et les informations que j’ai pu recueillir, des personnes sont sous surveillance étroite en France et un nombre indéterminé en Afrique).
« Le premier Jihadist Black Power »
FH – il y a une notion, une nouveauté importante, dans cette « histoire en marche« , c’est l’émergence aujourd’hui, à travers cette affaire malienne de ce que vous avez surnommé un « Jihadist Black Power ». Vous pouvez développer?
Marc TREVIDIC: –Oui, c’est vrai que l’expérience depuis les années 2000 nous avait habitué à un Jihad labellisé Moyen-Orient, Maghrébins, Arabes, donc des « blancs ». C’était les gens qui étaient en face de nous. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a eu une confrontation historique entre les arabes et les noirs venant du fait que dans le passé les arabes ont mis en esclavage à grande échelle. Et donc il y a toujours eu cet antagonisme historique, supérieur par rapport à inférieur, qui n’a jamais disparu, et q’on peut retrouver encore aujourd’hui dans certaines banlieue, certaines cités en France, ou les deux communautés sont très importantes. Or pour la première fois, avec le Mali, on a un Jihad très fort en terre d’Afrique, en terre noire. Donc pour la première fois, il y a un « Jihad Black », un Jihad fait pour les blacks, par les blacks. Ce qui ouvre un champ nouveau pour nous qui luttons contre le terrorisme islamiste et pour eux, pour les « blacks salafistes » qui prennent une forme de revanche sur les arabes.. Les blacks des groupes islamistes au Mali ont pris une forme de revanche, montrant qu’il étaient capables de rivaliser avec les arabes, qu’ils les valaient bien, qu’ils étaient capables de faire aussi bien si ce n’est mieux, qu’ils étaient capables de partir à la conquête, d’aller à la confrontation et de conduire leur propre Jihad, de défendre efficacement les « vertus » radicales de l’Islam Salafiste, de la charia dans son application la plus rigoureuse. Donc oui, on peut appeler ça un Jihadist black power. Avec et c’est là notre inquiétude, une capacité d’entrainement des populations musulmanes africaines de France et d’ailleurs que nous ne pouvons mesurer à l’heure actuelle, mais qui va augmenter mécaniquement. C’est là que réside une menace potentielle de très grande ampleur. Dont l’ennemi numéro un est la France.
FH -Mais comment s’explique t-on que ce Jihad soit mené par plusieurs mouvements émergents différents comme ANSAR DINE, et le MUJAO qui ont marché dans les traces d’AQMI historiquement présent au Sahel depuis longtemps?
Marc TREVIDIC: –C’est vrai que c’est pas très naturel, un peu curieux. Il y a des mouvements différents qui parfois se frictionnent, parfois font des alliances de circonstances. Des Nigériens, des nigérians ont aussi franchi les frontières et rejoint ces mouvements ou l’on peut voir des hommes d’origine Touareg frayer avec des algériens. Et devenir des « fondus de la charia ». Certains touaregs, parfois des anciens du MLNA, ont pris leur place dans ces mouvements, pas forcément par conviction, mais parce qu’ayant estimé avoir été brimés et lésés par le pouvoirs central à Bamako depuis des générations, il y avait là une occasion de prendre une revanche historique et de renverser totalement la donne. Si le Mali devait tomber, je suis pas sur que les alliances subsisteraient et que tous ces gens là ne finiraient pas par se battre entre eux, je suis même persuadé du contraire. D’un point de vue strictement idéologique et religieux, ça part un peu dans tous les sens, c’est pas d’un niveau extraordinaire. On pourrait dire que ce n’est pas un Jihad de très grande qualité intellectuelle et scolastique. L’islam extrémiste des maliens est mêlé à leur propre culture, et en même temps ils « empruntent » des méthodes afghanes par exemple, en détruisant les mausolées à Tombouctou par exemple, dénonçant une « idolâtrie » mal séante là ou il n’y a de Dieu que Dieu, et qu’il est le seul que l’on doit vénérer… Mais le problème n’est plus là. En l’état, ils sont encore forts, ils sont puissants, font régner la terreur, savent se battre et ils vont être unis contre l’adversité de l’extérieur et le principal adversaire de l’extérieur porte un nom: La France. La ils ont pris des coups. Mais ils en rendront, à leur manière.
FH – La France est maintenant en première ligne. Et dans l’urgence est intervenue directement, en menant des frappes aériennes au Mali. Pour vous le risque est maximal?
Marc TREVIDIC: –La France a pris ses responsabilités politiques. Ce n’est pas notre affaire à nous, les hommes de l’anti-terrorisme, et des services de renseignements. Nous, on doit anticiper les répercussions possibles de l’intervention au Mali. Les français doivent le savoir. La « guerre » contre le terrorisme, et les ripostes éventuelles ne s’arrêterons pas aux frontières du Mali. Il y aura des actions, ou des tentatives sur notre sol, ou d’autres contre nos intérêts. On le sait. Ce qui se passe sur le terrain en ce moment ne peut que renforcer et accélérer le risque. Nous sommes dans une période de très grande instabilité. On échapera pas à des attaques ou projets d’attaques terroristes. A nous de renforcer la digue, de garder la tête froide, de se serrer les coudes, mais il ne faut pas voiler la face, la menace est aujourd’hui directe et très forte. Rayon clignotants, on est dans le rouge. Le renseignement, la DCRI en liaison avec la DGSE, tous les services compétents, en lien avec le staff anti-terroriste sont en état d’alerte.
Propos recueillis par Frédéric Helbert