Drakkar: Au Liban, il y a 30 ans, dans Beyrouth déchiré, L’attentat contre les paras français (Maj)
Publié le 23/10/2012 à 23h19 | attentat, Atttentat kamikaze, camion piégé, Drakkar, France, Liban, Mitterrand, Nasrallah, parachutistes, Souvenir, Vétérans | 3 commentaires
Liban: La Patrie des attentats sanglants. La guerre éternelle.
23 octobre 83: Le sang des paras français coule. Le terrible attentat du Drakkar.
L’an dernier le pays retenait son souffle en se demandant si l’attentat à la voiture piégée ayant tué Wissam El-Hassan et pulvérisé plusieurs rues du centre de Beyerouth, n’allait pas faire basculer à nouveau le Liban dans une guerre fratricide. Rien n’a vraiment changé depuis un an. D’autres attentats ont fait couler le sang dans tous les camps. A deux pas de la Syrie qui n’en finit pas de sombrer dans une guerre civile véhiculant son cortège d’atrocités.
Mais au pays du cèdre, où l’allié de la Syrie, le Hezbollah est devenu le parti dominant, comme dans plusieurs coins de France, où vivent ceux qui sont revenus, les survivants, où pleurent les familles des morts, le 23 octobre n’est pas un jour comme les autres, C’est jour de souffrance, de souvenir du passé ressurgissent immanquablement. Souvenir âcre et douloureux de l’inoubliable: L’effroyable attentat, un double attentat doit on dire commis Il y a 30 ans, visant la force multi-nationale de casques bleus qui avait pour improbable, impossible mission, de ramener la paix est frappée en plein coeur. Et les paras français furent parmi les cibles principales.
Flash-Back
Il est 8 heures 18 le matin du 23 octobre 1983. Beyrouth tout entière est secouée par une première déflagration d’une puissance inouïe , Elle frappe le contingent des Marines Américains (1600 hommes basés à l’aéroport international de la ville): Un camion piégé, conduit par un kamikaze, bourré d’explosifs, d’pulvérise toutes les barrières de sécurité: 241 « marines » tués.
Quelques minutes plus tard nouvelle frappe ciblée: Le contingent français (2000 hommes) , le plus important engagé dans un force comptant aussi soldats italiens et anglais est touché.
Un immeuble entier est visé et s’effondre. Là ou les français ont constitué un poste d’état-major, baptisé « Drakkar ». Même processus opérationnel. Camion-suicide piégé. plusieurs tonnes d’explosifs. 58 parachutistes du 1er et 9ème RCP sont tués. 15 sont blessés. 29 sortent des décombres miraculeusement indemmes. Physiquement. La France entière sera bouleversée par l’image d’un soldat tenant pedant un temps indéfini la main d’un de ses compagnons d’armes, blessé et prisonnier des ruines. Le lendemain de l’attentat, lePrésident Mitterrand est à Beyrouth. Pendant huit jours, des secouristes continueront à fouiller les ruines du Drakkar pour continuer à en extraire des dépouilles.
L’attentat est revendiqué alors par le Hezbollah et le Jihad Islamique. Le Hezbollah se souvient un diplomate de l’époque est un mouvement qui a surgi sur la scène publique et militaire un an auparavant lors de l’invasion israélienne au Liban. » Le mouvement est alors en pleine expansion chez les miliciens activistes musulmans se souvient l’un d’eux, rangé depuis longtemps des voitures. Il débauchait par centaines les militants du mouvement chiite dominant d’alors Amal. Dans ses rangs le Hezbollah comptait un jeune à l’époque, qui semblait « prometteur ». Il s’appelait…Hassan Nasrallah. Aujourd’hui l’homme le plus puissant du Liban…
Quand à l’organisateur présumé de l’attentat, Igmad Mugnieh, terroriste sanguinaire pour les uns, héros de la résistance pour d’autres, longtemps protégé par les syriens, organisateur d’autres exploits du genre, attentats, prises d’otages, détournements d’avions il sera tué en 2008 dans une opération attribué aux services israéliens.
Mais pour le Hezbollah, et les hommes du Djihad Islamique, ainsi qu tous les mouvements islamistes qui suivront, le « Drakkar » c’est un parfait « cas d’école »: Comment mettre à genoux un colosse militaire, comment faire triompher la guerre asymétrique… Le terrorisme comme arme fatale du « pauvre », les attentats-kamikazes, les camions ou voitures piégées, la double frappe quasi-simultannée… L’extraordinaire impact médiatique. « Encore aujourd’hui L’attentat du Drakkar reste un « modèle » d’action au nom du Jihad.
Pour L’armée française, l’épisode reste dans la mémoire collective de l’armée française comme l’un des pires moments de son histoire depuis la deuxième guerre mondiale.
C’était il y a 30 ans, mais c’est encore vivace dans la chair, dans l’esprit de ceux qui n’ont pas voulu où pas pu oublier… Coté libanais, C’est pour beaucoup un immense regret: » Cela aurait du sonner l’alerte dit aujourd’hui la voix lasse un écrivain. Pour mettre un coup d’arrêt à l’esprit guerrier, à l’expansion d’un terrorisme d’inspiration religieuse, faire comprendre à la communauté internationale et au monde arabe, si tant est qu’ils existent, tous les dangers que concentraient la guerre du Liban: Montée des fanatismes religieux de tous cotés, expansionnisme du clan au pouvoir syrien qui allait mettre le pays « en coupe réglée » et en faire sa « vache à lait », nécessité impérieuse de trouver une solution à la question palestinienne, affaiblissement et corruption de l’Etat Libanais, etc.. Il n’en a rien été. Le Liban, petit pays qui était un « trésor », la fameuse « Suisse du Moyen-orient » est devenu le terrain de tous « les jeux de guerre ».
Quant à la France, à l’époque, elle a organisé un raid de représailles-bidon, des super-étendards s’en étant allé bombarder quelques objectifs dont il s’avéra qu’il avait ciblét des bergeries vides!.. D’autres actions, très téméraires, et totalement clandestines, furent par la suite montées, par la DGSE notament, mais sont classifiés « secret défense ».
Reste que la blessure du Drakkar demeure à jamais ouverte. Double blessure puisqu’au delà des souffrances endurées ce jour là, vient s’ajouter un sentiment d’oubli difficilement supportable: »Qui se souvient de nous » se demande un rescapé? Qui sait ce que nous avons enduré, vécu? Le sentiment d’abandon total est là, mais ressurgit plus fort, quand sonne l’heure de l’anniversaire« .
Le contingent français: des soldats de carrière et de nombreux « civils » qui faisaient leur « service militaire ».
Car cet attentat-monstre qui a déchiré les chairs, date d’un autre temps. Celui du service militaire, de ceux qui sont partis le coeur léger vers Beyrouth, vers l’aventure, le voyage en Orient, une action lancée au service de la paix, une meilleure solde… Dans les rangs du contingent, des hommes bien loin des militaires de métier d’aujourd’hui. Un temps aussi où les ravages sournois du terrorisme étaient méconnus. « Si l’on s’en était sorti, dit un autre rescapé du Drakkar, tout le monde pensait qu’on avait qu’à respirer un bon coup et repartir dans la vie. Les blessés qui n’en sont jamais remis, ceux qui y ont laissé une partie de leur corps, on les a cachés, on ne les pas honoré et accompagné comme on aurait du. L’oubli a fait son temps. Sauf pour eux et les leurs. Certains ont « dégoupillé » et ont décidé d’abandonner une vie qui n’en était plus une… Victimes non répertoriées de l’attentat… Et puis il y a eu eu tous les autres, ceux dont les blessures ne ne se voyaient pas. A l’époque il n’y avait pas d’SOS attentats. Il n’y avait pas de médecin spécialisé dans ces traumatismes invisibles que créent les attentats, personne à qui parler… Moi, au début, tout allait bien. Et puis il y a eu les attentats de 85 à Paris. Là, devant ma télé, un soir, je me suis mis à pleurer comme un gosse, je tremblais. Tout m’est revenu en un instant. Depuis, c’est fini. Je ne sais plus allumer un four, un feu, descendre dans une cave. Et le souvenir des visages de mes camarades emportés me poursuit sans cesse, avec cette question sans réponse, pourquoi eux, et pourquoi pas moi? Je vis avec le poids de cette culpabilité aussi. Il n’y a, et c’est rare, qu’en revoyant parfois d’autres survivants, revenus aussi après à la vie civile, que j’ai l’impression d’être compris. Mais Merde quoi! Moi je ne faisais que mon service. Je ne suis pas militaire de carrière, et je suis seul, si seul… Et tant d’autres qui ont vécu ce jour là ressentent la même chose. 30 ans après, le Drakkar fait encore saigner des plaies de toutes sortes ».
Au Liban, c’est une autre histoire: « Aujourd’hui dit un vieux politicien chrétien, notre communauté a périclité. Perdu son pouvoir. Le hezbollah lui l’a conquis. Hassan Nasrallah est devenu le chef redoutable du redouté Hezbollah. Le Drakkar dans les mémoires de certains, c’est la défaite absolue. Pour d’autres c’est un haut-fait de résistance, mais bon, outre que ce ne fut qu’un carnage affreux, et le début d’une nouvelle forme de terrorisme sanglant, cela a scellé l’irrésistible ascension du Hezbollah. Qui lui même a connu récemment dans une mesure bien moindre, l’abomination de l’attentat à la voiture piégée qui déchire les chairs de tant d’innocents. Et dans la situation actuelle du pays, l’on peut légitimement craindre que l’histoire ne se répète: La FINUL qui s’est installée dans le Sud, après la guerre de 2006 contre Israel comprend un contingent français, déjà frappé par des actions mineures, mais qui compte-tenu des choix anti-Bachar de votre diplomatie vit sous la menace dans une région est au bord, sinon déjà dans le gouffre ».
Le Drakkar a t-il servi d’enseignement? Il n’a pas empêché selon un vétéran parachutiste, « la France comme d’autres grandes armées occidentales, malgré leur montée en puissance technologique, à s’engager dans d’autres guerres asymétriques qui sont devenus de véritables bourbiers meurtriers, où d’autres camions piégés ont fait leurs oeuvres de mort »…
« Au fond tempête un ancien du Drakkar ce jour là, les camarades sont morts pour rien, et ceux qui ont survécu en ont pris plein la gueule! » » Et nous les libanais lui répond en écho un officier de l’armée du pays du cèdre, plutôt que de tirer les enseignements de ce moment tragiquement historique, nous avons poursuivi dans la voie de la guerre où les attentats sont devenus légions. La Guerre? Elle s’est juste calmée. Elle se réveillera un jour de manière aussi sauvage que dans les années 70/80. Comme une fatalité inexorable ».
Aujourd’hui entouré des siens, montrant de vieilles photos jaunies, celles du bon temps avant celles du carnage l’ancien du Drakkar raconte avoir perdu sa jeunesse là-bas. Sa Jeunesse, une jambe, tous les espoirs d’une vie. Mais il ne veut ni flash, ni lumière, par fidélité pour ceux qui ont péri dans le noir, ensevelis sous les décombres et la poussière. « C’était le 23 octobre 1983 Monsieur. Depuis dans mes cauchemars cela revient chaque nuit. Cette année, le ministre de la défense après avoir annulé une cérémonie prévue sur place, en « raison de la situation » a demandé à l’occasion de « petites » cérémonies, à Beyrouth puis à Pamiers, que notre situation à nous, les blessés, les rescapés, soit enfin évaluées dans les mêmes conditions, avec les mêmes critères, et outils médicaux, que celle des soldats touchés en Afghanistan au Mali ou sur d’autres théâtres d’opérations. Il serait temps non, 30 ans pour entendre cela! 30 années de souffrances indicibles pour les rescapés, leurs proches, et les familles de ceux qui ont péri là-bas.. Quelle honte! » .
Et comme tous les 23 octobres depuis 30 ans, le vieux para devenu invalide, rejoint par quelques-uns de ses anciens frères d’armes, parvient à se lever et entonne doucement, le regard perdu dans le vague entonne doucement le chant militaire « Ceux du Liban », en serrant le poing lorsque résonnent en coeur les paroles d’un chant déchirant: « La France pleure ses enfants, tombés là bas au Levant« .
Frédéric Helbert.