Contre-terrorisme: 1ère opération présidence Hollande… Un succès ou un échec?
Publié le 08/10/2012 à 00h59 | anti-terrorisme, enquête, juges court-circuités, opérations, Politique | 1 commentaire
L’évidence…
Qui, en dehors des « fous de Dieu » impliqués, de ceux qui les soutiennent, ne pourraient se féliciter que l’on ait réussi à détecter, démanteler une cellule, un groupe, un réseau de terroristes s’apprêtant à passer à l’action? Evidemment personne. Personne de sensé. Personne n’ayant oublié que la France a souvent été le théâtre d’action terroristes sanglantes, et en a (j’y reviendrai) évité des dizaines….
N’aurait-on pour autant le droit de s’interroger sur les conditions techniques et opérationnelles d’une enquête menée en dépit des règles traditionnelles, celles qui ont fait de l’appareil anti-terroriste français l’un des meilleurs. Et dont le monde entier vantait les mérites jusqu’à l’affaire Merah? Est-on contraint à suivre à la lettre la version officielle sans se poser de questions alors que cette opération a été menée de manière singulière, dans un délai hors-normes, que les juges anti-terroristes de la galerie Saint-Eloi en ont été écartés, alors que ce sont eux à qui l’on présentera en fin de garde à vue ceux officiellement suspectés d’avoir monté un vrai réseau de la terreur, aux intentions pourtant apparemment mal définies?
Retour sur une enquête et une opération qui posent questions…
Vendredi soir dernier, au Palais de Justice de Paris, rencontre avec des juges spécialisés. On parle de choses et d’autres. Je demande rien de chaud en prépa? Rien me dit-on. Quelques heures plus tard, l’opération. Dont j’apprendrai par la suite que les juges spécialisés en ont été soigneusement écartés. Aucune information judiciaire ouverte en amont! Pour Une opération drivée par le Parquet, le seul Parquet. Dépendant de la Chancellerie, du Pouvoir, et du grand-ordonnateur en l’espèce Manuel Valls, tout puissant Ministre de l’Intérieur, la caution d’une gauche très sécuritaire.. Mais la méthode rappelle immanquablement l’ère Sarkozy ou les juges anti-terroristes étaient peu en cour dans les allées du pouvoir. Laisser une enquête sous le contrôle du Parquet, c’est permettre au l’exécutif d’avoir le contrôle sur l’enquête, et de décider du timing d’une éventuelle opération à déclencher. Mais c’est se priver du savoir-faire, du background, des raisonnements éclairés des juges qui travaillent sans relâche pour parer la menace terroriste dite islamiste ou « jihadique ». Le pouvoir a choisi. Et c’est une première. Jamais auparavant une enquête sur un présumé réseau important et dangereux, prêt à passer à l’acte, à mener des opérations martyrs donc kamikazes, n’a été menée sans qu’un juge spécialisé du pôle anti-terroriste n’y soit associé en étant saisi dès les premiers soupçons. « Ainsi explique un vieux routier du métier, l’enquête a été menée en un temps-record (2 semaines), avant une frappe en plusieurs endroits de l’hexagone. On peut imaginer aisément qu’avec les juges, le temps aurait été laissé au temps, sauf présence d’un danger immédiat. Le temps de fouiller, d’établir, d’être sur que l’on allait trouver des éléments concrets de preuve d’un passage à l’action imminent au moment de la frappe judiciaire ».
Toutes les grandes enquêtes précédentes depuis des années sur le démantèlement de vrais réseaux jihadistes ont parfois duré plusieurs mois. L’enquête sur le réseau « Francfort II » (que je détaillerai ultérieurement), dont les membres entendaient rien de moins – au moment du millénium – que d’organiser une double frappe terrible contre la cathédrale de Strasbourg et le marché de Noël de la ville, a duré des mois et des mois. Les juges Bruguière et Ricard ont donné le « top opérationnel » 5 jours avant la date prévue et connue de l’attentat. Résultat: Les hommes, le matériel (explosifs, détonateurs, etc…), les bandes vidéos des repérages, tout a été saisi lors de l’opération! Aucun conditionnel n’était possible quant aux intentions du réseau et la réalité de la menace.
Aujourd’hui, « on en est loin tempête un familier de la galerie Saint-Eloi, et ce sont les juges, exclus de l’enquête préliminaires qui vont devoir récupérer un dossier qu’ils n’ont pas géré jusque-là. Deux jours après le début de l’opération, les policiers continuent à chasser preuves, contacts, ça sent pas bon, à moins qu’ils sortent un joker de leur manche ».
L’opérationnel en cause
Là encore, de nombreux pro du saute-dessus de terroristes, ou terros présumés s’interrogent pour le moins. « A chaque opération dit un directeur d’enquête, si on a affaire à des gens que l’on pense dangereux, susceptibles de répliquer on fait appel aux unités d’élite. Il n’y en a pas 36 en France. Il y en a 2: le GIGN, et le RAID qui sont rompus à ce genre d’opération et sont dotés des meilleurs équipements technologiques ». L’affaire Merah, sur laquelle je me suis exprimé amplement quant aux dysfonctionnements opérationnels dans des conditions tout à fait particulières, est une exception, une vilaine exception. Elle ne discrédite pas le RAID pour l’éternité. Ces opérations sont sensibles. Toujours. L’imprévu peut être au rendez-vous. Rien n’est gagné d’avance. S’il y a urgence ou que les unités Inter du Raid sont indisponibles pour une raison ou une autre, il y a les GIPN (qui sont des sous-antennes du RAID qualifiées pour ce genre d’opérations).
Question? Pourquoi avoir fait appel à Strasbourg, pour neutraliser un suspect n°1, l’unité spéciale de la BRI (Brigade recherche/intervention)? Non que ces hommes n’aient pas la capacité de neutralisation d’un tel individu… Mais la condition n°1 d’une neutralisation réussie, c’est la rapidité et l’effet de surprise. Comment pouvait-on garantir l’effet de surprise, dès lors que l’unité n’a pas l’autorisation d’utiliser des explosifs pour casser une porte, et n’est pas équipée du système new age avec des vérins hydrauliques, qui découpent une porte comme un rayon-laser? En empruntant le traditionnel et vieux BELIER. De quoi réveiller tout l’immeuble, et donner le temps au suspect visé de réagir d’une manière ou d’une autre. Ce qui s’est immanquablement passé. Jérémy Sydney… selon la version officielle a sorti un 357magnum Smith&Wesson, décidant de faire front aux policiers venus l’interpeller. Blessant l’un d’eux, sauvé par son gilet pare-balles. Les policiers auraient alors répliqué en état de légitime défense.. Là où la version officielle pose problème, c’est qu’elle fait état d’un suspect ayant vidé l’intégralité de son chargeur. Mais alors quand les policiers ont-ils tiré? Dans quelles conditions exactes ont-ils abattu le jihadiste présumé? Sur Twitter, où les réactions à cette affaire ont été d’une rare violence, certains m’ont expliqué qu’un bon terroriste était un terroriste mort. J’en passe et des pires… Ce n’est pas à priori ce qui doit se passer dans un état de droit. Le suspect n’était pas Ben Laden. Il avait certes jeté une grenade dans une épicerie juive de Sarcelles, sans faire de victimes. On est loin de l’attentat de la rue des Rosiers (j’y reviendrai aussi).
On dira qu’il a choisi « sa voie vers le martyre », qu’il ne voulait apparemment pas être pris vivant. Certains se sont félicités ouvertement de sa mort. Au-delà de toutes considérations morales, en technique pure, la mort de cet homme (comme celle de Mohamed Merah) est un ECHEC pour ceux qui sont intervenus, et un handicap grave pour la suite de l’enquête, car jusqu’à preuve du contraire, les morts ne parlent pas…
Les hommes d’autres unités auraient-ils fait mieux? il n’y aura jamais de réponse à cette question. Y avait-il d’autres moyens que ceux de l’intervention utilisés? certainement. Des précautions particulières auraient-du elle être prises? sans doute. « On n’arrête pas un terro comme un voyou dit un ancien de la BRI. Le voyou, il veut vivre et ne défouraille pas, le terro on ne sait jamais… » Combien de balles ont été tirées par les policiers? Combien de policiers on tiré? A quel moment exactement? Ces questions restent pour l’heure sans réponse… Quant à ceux qui m’ont fait procès sur Twitter de formuler des critiques le cul sur ma chaise, alors que des policiers ont risqué leurs vies, je répondrai que sur différents terrains de guerre, je sais ce que c’est qu’une fusillade, avoir un gun sur la tempe, ou subir des bombardements incessants. J’ai signé pour. ça fait partie des risques du métier, comme pour les policiers en intervention.
Une opération où les caméras n’étaient jamais loin
La médiatisation à outrance du dossier est aussi étonnante. Lors des différentes interventions, interpellation, perquisitions, beaucoup de caméras ou d’appareils photo dans les secteurs visés nous ont offert des images in situ. Qui a prévenu? des témoins parfois, des policiers syndiqués certainement, personne au sein des forces de police impliquées ne s’en est plaint, et aucun des hommes intervenus sur le terrain n’ont mis une main sur les caméras… Un choix politique évidement. Pas forcément rentable à long terme, car les actuels ou futurs djihadistes ont la télévision. Et ce type d’images deviennent des outils de propagande au sein des milieux d’extrémistes dénonçant « l’action des forces de répression ». Qui plus est, la gauche, avant la victoire de François Hollande, n’avait pas eu de mots assez durs, pour fustiger les « shows » médiatiques des arrestations du groupe Achamlane (Forzane Alliza) et de plusieurs pseudo-jihadistes, au lendemain et surlendemain de l’issue sanglante à Toulouse dans l’affaire Merah. Outre la présence quasi-instantanée de tous les médias sur les lieux d’intervention, difficile de passer à côté des multiples interventions de membres du gouvernement jusqu’au Président Hollande, commentant à chaud, un dossier dont les tenants et les aboutissants restent flous. Ce qui n’a pas empêché les politiques d’y aller avec une assurance et des convictions dignes de celles d’un Nicolas Sarkozy ou d’un Claude Guéant s’exprimant sur des dossiers en cours pour asséner leur vérités… Verdict pour l’heure d’un ancien de la DST qui en cassé du réseau terroriste pur jus: « Vouloir monter qu’on a des muscles, qu’on défendra la France contre la menace (une évidence, non?), dire que les réseaux sont dans nos quartiers, (encore une évidence), vouloir rassurer une communauté après l’avoir inquiété, semer le trouble dans le rang d’une autre communauté, mener une opération après seulement 15 jours d’enquête, tout çà qui veut faire « rassurez-vous », « dormez tranquilles bonnes gens » produit plutôt des effets inverses et des dérapages verbaux incontrôlés. C’est dangereux. On ne ne joue pas avec l’anti-terrorisme comme çà, surtout par les temps qui courent ».
Frédéric Helbert.
A suivre, Une singulière enquête, quelles sont les pièces à charge?, les inquiétudes de la communauté juive, Un mémo sur les grandes affaires de réseau neutralisés où rien ne filtrait, la menace terroriste (revue des effectifs), la gestion politique de l’affaire etc, etc..