Liban. Réfugiés syriens: Voyage au bout de l’enfer. Exclusif.
Publié le 23/09/2012 à 16h08 | Liban, Réfugiés, scandale humanitaire, syrie | Écrire un commentaire
Des réfugiés Syriens seuls au monde. Reportage exclusif.
D’abord il faut chercher. Rouler longtemps à travers de mauvaises routes de campagne au nord de Tripoli. Traverser des villages semi-déserts, somnolents sous une chaleur écrasante. Lorsque nous demandons notre chemin, les gens sont méfiants. La peur des moukabarat, d’agents pro-syriens, de l’étranger… Puis finalement nous arrivons, comme dans une impasse: un terrain agricole, terrain d’immondices. Ici, des serres, ou un agriculteur cultive des bouses de vaches comme engrais. Partout autour des ordures jonchent le sol. Mais ceux qui ont obtenu ce bout de terre pour des réfugiés syriens remercient pourtant l’agriculteur, qui a fait e qu’il a pu, mais qui a fait lui, sans rien demander en échange L’homme a bien voulu le prêter ce terrain avec quelques bâches, quelques planches, des outils de fortune, pour construire des abris de fortunes. Lieux insalubres, avec des latrines d’un autre âge, d’ou s’échappent une puanteur terrible. Nous sommes bien loin d’un camp de réfugiés, en toiles. Aucune ONG n’est jamais venue ici, aucun médecin, aucun ministre, aucune actrice célèbre. Seuls les volontaires du comité pour les réfugiés du Conseil National Syrien ont apporté leur aide, à cette quinzaine de réfugiés syriens venus de Homs, des femmes, des hommes, des enfants, parfois malades, handicapés vivant ou plutôt survivant dans cette misère, totalement démunis, abandonnés. Dignes pourtant. D’une incroyable dignité.
Ils ont été prévenus de notre arrivée. Ils ne voient jamais personne d’ordinaire. C’st la première fois qu’ils rencontrent un occidental et un journaliste…Ils sont heureux… Sur la roue Nous avions demandé à notre guide, qui nous a raconté les conditions abominables dans lesquelles ces réfugiés subsistent ce que nous pouvions faire… Il nous a dit qu’il y avait beaucoup d’enfants. Alors nous avons à la hâte avant de prendre la route dévalisée une épicerie à Tripoli: Paquets de chips, biscuits, gâteaux, et des bonbons. Si peu… Et pourtant comme un trésor pour les gosses, et leurs parents incapables de leur offrir ce si peu…
La « distribution »: Un moment de joie qui renvoït à ce que doit être la tristesse et le manque au quotidien.
Parmi tous ces enfants, sortis de l’enfer des bombardements pour en découvrir un autre, celui de la misère absolue et de l’abandon, une petite fille, bouleversante, bouleversée par le don d’un paquet de chips…
L’image emblématique de cette émotion, pour si peu qui représente tant soudainement, apparait comme le revers d’une indécence rare. Ces enfants, leurs parents, nous les rencontrons alors qu’à l’ONU se tient une interminable réunion consacrée à l’aide humanitaire. Et peu après la tournée du Ministre des Affaires Etrangères français, Laurent Fabius, venu assurer que le maximum était, serait fait, pour venir en aide aux réfugiés installés dans les pays voisins de la Syrie… Notamment au Liban ou leur situation est particulièrement précaire. « J’ai rencontré moi Monsieur Fabius dit le jeune membre du comité national des réfugiés syriens qui nous accompagne. Je lui ai parlé. De cette famille, d’autres. Il m’a dit que la France ferait le nécessaire… La France n’est pas la patrie de l’aide humanitaire? Songez qu’il ne s’est rien passé depuis, rien! imaginez que les enfants ne vont plus à l’école, qu’ils n’ont plus de livres, de cartables, plus de jouets, plus rien. Jugez par vous même ».
« L’aide humanitaire? c’est quoi l’aide humanitaire? »
La question est posée avec une virulence aisément compréhensible par une femme, qui nous raconte son histoire et celle de ses frères et soeurs de misère: Ils sont comme des damnés de la terre, qui vivent dans une pauvreté allant va jusqu’à choquer D., ce libanais qui est mon compagnon précieux de reportage. Il en a vu d’autres, et pourtant il n’en revient pas. Il se promet de leur apporter un sac de riz.
La femme, sorte de chef de clan, au caractère bien trempé, nous fait une visite guidée des « lieux » indécents où vit cette petite communauté du malheur.
Dans cette pièce insalubre de quelques mètres carrés à peine, sept femmes dorment la nuit dans une promiscuité infernale. Seul « équipement » dérisoire: un vieux ventilateur qui ne peut pas grand-chose contre une chaleur suffocante. Les autres, hommes et enfants dorment, souvent à même le sol, dans un taudis fait de bric et de broc.
Un bébé paralysé, handicapé mental, qui n’a reçu aucun soin, dans les bras de sa soeur
Cette enfant au regard qui interroge, condamne, interpelle, tient dans ses bras, un bébé malingre: Son petit-frèree. Né prématuré dans un hôpital d’Homs, il était sous couveuse, lorsque l’établissement a été bombardé. L’électricité a été coupé. Dommages irréversibles pour le bébé dont le cerveau n’a plus été irrigué. Il est handicapé mental, paralysé des membres inférieurs. La maladie gagne. Depuis qu’il est là, il n’a vu aucun médecin, ni reçu aucun traitement approprié. Les parents? Disparus. Son père, emprisonné en Syrie, n’a pu fuir. Sa mère devenue folle de douleur n’est plus là. Malgré les tentatives des autres réfugiés de l’en dissuader, elle est repartie ver Homs pour tenter, l’impossible: retrouver son mari. Pas de nouvelles d’elle depuis. A termes, si ce bébé ne bénéficie pas de soins, il sera condamné à mourir sans que nul autour de lui ne puisse faire quoique ce soit. Les volontaires de la cellule du Comité national des réfugiés syriens ont beau eu tenté d’alerter. A l’heure qu’il est, rien ni personne n’est venu qui puisse permettre de penser que le pire sera évité. Les autres enfants n’ont pas plus bénéficié d’une quelconque assistance, médicale, psychologique. Tous sont sous alimentés, souffrent de carences diverses, certains ne parlent plus, d’autres malgré tout parviennent à jouer, comme ils peuvent ,au milieu de tas d’ordures, d’immondices, au désespoir de leurs parents ou de ceux qui les ont pris en charge, car certains n’ont plus de parents…
La visite se poursuit. A chaque pas, c’est le choc avec les images d’un concentré de malheurs et de souffrances. D’incompréhension aussi. Ici, ce vieillard, handicapé, qui passe ses journées assis sur un tapis sale. Il murmure parfois quelques mots. Son visage trahit l’épuisement d’une vie qui n’en est plus une. Lui aussi aurait besoin d’un secours médical. Mais pas plus que les autres, il n’a vu un quelconque médecin. Il est condamné à l’immobilisme, à la souffrance permanente et à la torture du souvenir.
Le voyage au bout de l’enfer se poursuit. Voila soudain parmi les réfugiés, un homme, apparemment de solide constitution, qui sourit, mais douloureusement. Je remarque qu’il passe son temps à poser sa main sur son crâne ras…
Une victime de la torture dans les geôles syriennes
Cet homme a été arrêté à Homs par les « Chabihas », les sbires du régime qui voient « l’ennemi » partout. Il dit ne pas avoir combattu, mais avoir été choisi pour faire un sinistre « exemple ». Emprisonné pendant plusieurs jours sans raison, il a été frappé à la matraque, à coups de poings et de pieds et torturé à l’électricité. Puis relâché presque mort. « Si j’avais été un combattant dit-il, ils m’auraient tué. Mais ils m’ont libéré pour que les autres hommes de mon quartier soient prévenus de ce qui pouvait leur arriver« . L’homme porte encore les marques visibles du « traitement » qu’il a subi. Et la douleur le poursuit en permanence. Il n’a aucun médicament pour le soulager.
Un peu plus loin, encore une enfant. Toujours le même regard… Celle-ci a perdu la force de jouer. Emmurée dans une insondable tristesse, elle ne participera pas au petit « festin » de chips, biscuits, bonbons qui fait la joie des autres.
Le visage de la désespérance
Rarement, dans un si petit groupe de réfugiés, je n’ai été confronté à un tel concentré de malheurs. Ces femmes, ces hommes, ces enfants sont des naufragés au présent qui est un combat permanent, et au futur totalement incertain. Les « grands » s’efforcent de ne pas monter aux enfants ce qu’ils endurent. Et ce sentiment d’abandon total qu’ils ne parviennent à comprendre, alors qu’ils ne sont que des civils, et des réfugiés qui ont du sacrifier tout, abandonner tout, et payer pour chacun d’entre eux, 100 dollars à des passeurs (une fortune) pour échapper à l’enfer syrien. Certes la situation particulière du Liban, les accointances de certaines autorités avec le régime syrien, font que le gouvernement refuse pour des raisons politiques d’autoriser la construction de camps structurés par des ONG. « Mais pourquoi s’insurge le volontaire du comité spécial des réfugiés l’occident, la France ne nous donne pas de moyens?« . Les réfugiés eux ignorent ses considérations qu’il sur échappent. Jamais, simplement, ils n’auraient cru échanger un enfer pour un autre. Parfois certains se mettent à l’écart. Et « craquent » en silence.
Bataille quotidienne pour la survie
Le soir vient. Il va falloir faire à manger avec quelques misérables denrées. Cette femme a l’air affligé devant une marmite d’eau se demande comment elle va arriver à nourrir tout le monde. Chaque jour, elle doit parcourir 10 kilomètres à pied (aller-retour) pour rejoindre un bus, qui l’emmène à Tripoli, ou elle reçoit un peu de pain, et quelques vivres qu’elle ramène au « camp » de fortune.
Une autre femme s’emporte devant nous: « Que fait l’Occident? Que fait l’ONU? Des annonces, des visites dans des camps soigneusement choisis en Turquie ou en Jordanie. C’est dur pour tous les réfugiés, mais nous, et nous sommes pas les seuls au Liban, de l’aide humanitaire promise, nous n’avons rien vu venir. Nous ne sommes pas des combattants, nous ne demandons pas des armes, juste de quoi vivre, manger, s’occuper de nos enfants. Nous ne sommes pas des mendiants! Mais dites le à votre Monsieur Fabius, et aux autres. Qu’ils arrêtent de parler, qu’ils agissent vraiment. Ils ne veulent pas nous envoyer des médicaments, des vivres, de quoi bâtir un toit, des médecins? Alors qu’ils donnent de l’argent! Il nous suffirait de quelques dollars par jours. Nous nous occuperons de nous et des nôtres. Nous savons de quoi nous et nos enfants ont besoin. Nous saurons vivre au plus juste. Acheter les médicaments, la nourriture, le minimum vital, l’essentiel pour que nous sortions de cet enfer permanent! ».
Reportage, récit, photos: Frédéric Helbert.