Merah: Décryptage rapport opérationnel du boss du RAID: chapitre II. La négociation.
Publié le 28/05/2012 à 18h13 | Merah, RAID | Écrire un commentaire
Dans son rapport, publié par « le point », on a pu au chapitre précédent, mesurer la prudence, et quantifier les omissions volontaires du patron du RAID. Rien sur les raisons qui l’ont amené à déclencher un premier assaut nocturne (aucune précision), dans un contexte difficile, en adoptant une stratégie peu orthodoxe. Amaury de Hautecloque n’y explique pas plus comment Mohammed Merah a pu être alerté lors de la progression de ses hommes, et ainsi « casser » l’effet surprise en tirant le premier. Il insiste par contre sur la volonté exprimée par le pouvoir politique que « le tueur à la moto » soit pris vivant.
Dès lors, que Merah, alerté, s’est retrouvé retranché dans son appartement, lourdement armé, une deuxième phase a débuté: Celle d’une négociation. Qui au bout du compte a avorté. Je vous propose, à la lumière des informations que j’ai pu recueillir, de passer encore une fois cette VO (version officielle) au « peigne-fin », et d’essayer d’expliquer, pourquoi elle a échoué, comment Mohammed Merah a tout le temps eu « le dessus » sur le négociateur, les a bernés, avant que ne soit déclenché, encore une fois sur ordre du politique, alors que rien ne l’imposait l’assaut final et fatal au tueur…
Après l’échec de l’assaut précipité de nuit, tout change. Le patron du RAID ordonne que le gaz et l’électricité soient coupés, et fait procéder( enfin) à une évacuation des habitants de l’immeuble par le toit. On passe alors d’une situation « d’interpellation matinale » écrit A. de Hautecloque (alors qu’il s’est agi d’une tentative d’interpellation nocturne, très rare, que rien n’obligeait) à une situation « de forcené retranché« . « Ce qui en soit, eu égard, à la détermination du tueur, et ses motivations jihadiques, est déjà une situation d’une délicatesse extrême explique un magistrat spécialisé, car tout dès l’origine indique, que le forcené islamiste, n’avait pas l’intention de se rendre, et préfèrera mourir plutôt que rendre les armes « . (il continue à faire feu plusieurs fois).
« La stratégie arrêtée d’un commun accord avec les autorités administratives et judiciaires (doux euphémisme) écrit le boss du RAID, est de faire comprendre au forcené qu’il n’a d’autre solution que celle de se rendre, étant entendu que sa réaction violente n’a pas eu de conséquences dramatiques » . C’est oublier qu’un jihadiste déterminé, n’a pas peur de la mort, voire même que dans des conditions telles, il la souhaite. A Roubaix en 1995, encerclés par le même RAID, dans une maison ayant pris feu, à la suite de violents échanges de feu, plusieurs membres du gang des « islamos-braqueurs » ont préféré périr brûlés vifs, plutôt que de se rendre. Plus récemment en Espagne, après les attentats de masse de la gare d’Atocha à Madrid en 2004, la même situation s’est produite… Mais le RAID n’a d’autre choix en l’espèce que de tenter le coup, en cherchant écrit A. de Hautecloque « à établir un lien de confiance permettant au forcené de « ventiler » ses émotions et de s’expliquer sur les conditions qui l’ont conduit à réagir violemment à notre arrivée ».
C’est là ou le RAID va se faire « berner » par un homme gardant la pleine et entière maîtrise de la situation. Il accepte de parler, se vante même de ses exploits, et jette par la fenêtre l’arme qui lui a servi à tuer ses 7 victimes, (en échange d’un talkie-walkie). Il indique ou se trouve l’un de ses véhicules, rempli d’armes. Le RAID pense tenir le bon bout, puisque Mohammed Merah, affirme qu’il est prêt à envisager un « protocole de reddition » mais qu’il lui faut un peu de temps pour digérer le fait qu’il va passer le reste de sa vie derrière les barreaux. Les négociateurs du RAID y croient. Amaury de Hautecloque ne mentionne pas dans son rapport, qu’il a tenté de faire venir la mère de Merah, mais qu’elle s’y est refusé, estimant n’avoir depuis longtemps plus aucun contrôle sur lui. Des « amis de cité » proposeront leur aide spontanément, une aide qui sera curieusement rejetée. Ni cette proposition, ni l’intervention d’un agent de la DCRI de Toulouse, avec lequel Mohammed Merah entretenait des liens restant à établir, ne figurent dans le rapport du patron de l’Unité d’élite policière, ou en tous les cas dans les extraits choisis… Le RAID pense avoir stabilisé la situation, ne se méfiant pas d’une possibilité de double langage du forcené. Et de l’utilisation de « techniques » apprises aux jihadistes lorsqu’ils sont en « formation »: le droit de mentir, de mélanger le vrai du faux, de faire croire qu’ils sont coopérants, alors qu’il n’en est rien. Ces techniques, un juge spécialisé dit les avoir plusieurs fois décelé face à des islamistes arrêtés. Dans des perquisitions liées à des affaires précédentes, des manuels d’apprentissage du « genre » ont été saisis. Très étrangement, alors que tout se joue à huit-clos, les médias seront constamment et copieusement fournis en informations, durant la journée suivant l’assaut initial manqué. Comme si, présageant une éventuelle fin sanglante, il fallait faire savoir à l’opinion publique, que oui, Merah endossait la paternité de ses crimes, oui, il aurait voulu en commettre plus, oui, il avait agi contre ceux qu’ils considérait comme des traîtres (les soldats du 17RGP), et au nom de la Palestine (victimes de l’école juive), accréditant ainsi le fait que l’on était bien tombé sur le bon client, avant que ne s’abatte sur le dossier le secret de l’instruction, et que ne surgissent les thèses complotistes….
Selon Amaury de Hautecloque, une heure pour la reddition est fixée: 23 heures. Mais à 22h45, Merah dévoile son vrai visage et ses intentions véritables. En parfait jihadiste pour la circonstance, il confesse qu’il a menti, qu’il n’a jamais envisagé se rendre, qu’il a joué la montre « pour se reposer » mais qu’il entend mourir les armes à la main, et que son sort est entre les mains d’Allah… Froidement, il se déclare prêt à un combat à mort, récite des sourates du Coran, et affirme aux négociateurs « j’aime la mort comme vous aimez la vie ». Il apparait donc alors que comme l’assaut initial, la négociation a été un échec! Et que Mohammed Merah a su faire durer les choses, « défier l’état français« , devant les caméras du monde entier. Là-encore, il est fidèle à un principe d’al Qaida, ou à la « philosophie » du mouvement, en ayant donné un maximum de publicité à ses actes, sa résistance, en n’ayant montré aucun remords, ni regret, si ce n’est celui de ne pas avoir fait plus de victimes. Autant d’éléments insupportables pour le pouvoir politique, qui ne veut envisager que la situation perdure, alors que le lendemain matin doivent être célébrées deux cérémonies d’obsèques nationales, une à Montauban, pour les militaires français assassinés, une autre à Jérusalem, pour les victimes juives. Cet élément, en pleine campagne électorale va jouer un rôle décisif, puisque dès lors dans la nuit, sous l’impulsion du pouvoir, il est décidé de permettre un second assaut. La négociation étant rompue, le RAID va alors user d’une tactique inédite, qui laissera bien des « experts » songeurs… Jusqu’au petit matin, régulièrement, presque tous les quart d’heure, des grenades « flash-bang » assourdissantes vont être lancées dans l’appartement du tueur, pour ne lui laisser aucun répit, aucun repos… Les policiers savent pourtant que face à un forcené très déterminé, ces grenades peuvent avoir l’effet inverse, et rendre enragé celui qu’elles visent. Lors d’une intervention au cours de laquelle le RAID avait perdu deux hommes à Ris-Orangis, en 1989 (j’y étais !) face à un forcené déchaîné, les grenades « flash-bang » lancées lors de l’approche finale derrière un bouclier blindé roulant n’avait eu aucun effet sur ledit forcené. A Toulouse, c’est une autre affaire: Selon les informations exclusives que j’ai pu obtenir, ce harcèlement va finir par rendre complètement sourd Mohammed Merah! (résultat d’autopsie). C’est peut-être ce qui explique qu’il ne répondra plus passée une certaine heure, à aucun appel ni ne donnera, selon le RAID, signe de vie. Officiellement, la crainte d’un suicide est évoquée pour décider de lancer un assaut matinal. Officieusement, quel que soit l’état de Merah, tout doit être fini, d’une manière ou d’une autre, avant le début des cérémonies d’obsèques solennelles. « Et ce alors que si l’on avait vraiment voulu tout faire pour l’arrêter vivant, dit un ex du GIGN, il y avait une chance, en refusant le combat qu’il voulait, et en le laissant « sécher », s’affaiblir à l’intérieur de l’appartement… Si le RAID avait eu les mains libres, et s’il n’y avait pas eu de timing politique, c’est sans doute l’option qui aurait été choisie ».
Mais le RAID n’a pas eu, n’a jamais eu les « mains libres »… Le politique a décidé. Selon lui l’impasse ne pouvait durer. Le top a alors été donné pour monter une opération qui aboutira, dans des conditions non encore élucidées, et ou persistent de nombreuses zones d’ombres, à la mort de Mohammed Merah.
Le récit de cette action de force décrite par Amaury de Hautecloque, et les contradictions saisissantes entre une version officielle et des éléments tangibles permettant de se poser encore de nombreuses questions feront l’objet du troisième volet de l’enquête que j’ai menée.
A suivre…